La danse contemporaine à l’honneur au Théâtre Auditorium de Poitiers


 

Créé en 1994 par le Théâtre (dont le directeur était, à l’époque, le regretté Denis Garnier), l’Université et le Centre d’Animation de Beaulieu, le festival A Corps célèbre cette année son trentième anniversaire. Pour l’occasion, une journée anniversaire s’est « greffé », sur un programme déjà très dense. Jérôme Lecardeur, ses équipes et ses partenaires ont préparé une édition riche en évènements de tous genres. Cette manifestation s’est rapidement imposée dans le paysage musical et « danseur » français et international. Elle attire désormais des danseurs et des compagnies néophytes et/ou chevronnés venus des quatre coins du monde. Comme il y a de nombreux spectacles, j’ai dû faire des choix et j’ai vu six spectacles sur les trente-et-un proposés pendant cette semaine très dense (16 spectacles professionnels et 15 amateurs). Je n’ai pas pu assister à la journée anniversaire du dimanche 7 avril qui avait lieu au parc de Blossac pour cause de déplacement à La Rochelle (https://lyriqueinfo.blogspot.com/2024/04/les-musiciens-de-saint-julien-celebrent.html) mais la journée a eu un beau succès grâce, entre autres raisons, à un temps idéal.


Vendredi 5 avril (spectacle donné au centre d’animation de Beaulieu) : O Samba do crioulo Doïdo – Calixto Neto / Luiz de Abreu (créé en 2004)


Créé en 2004 et porté par Luiz de Abreu dans les premières années, O Samba do Crioulo Doïdo dure 25 minutes, mais, au vue de la densité du spectacle et de l’engagement physique du danseur, c’est largement suffisant. Cela étant dit, il faut savoir que Luiz de Abreu devenu aveugle depuis qu’il a arrêté son spectacle à d’autres danseurs, a d’abord transmis « son bébé » à un groupe de 3 ou 4 danseurs avant de le transmettre à Calixto Neto qui le porte depuis 2020. Pour terminer de poser le décor il faut savoir que Neto, comme ceux qui ont dansé O Samba avant lui, danse nu avec comme seul « costume » une paire de bottes à talons hauts et un drapeau du Brésil qu’il manipule pendant la seconde partie du spectacle. Calixto Neto réalise une performance exceptionnelle et utilise chaque partie de son corps avec talent. Après la performance exceptionnelle de Calixto Neto, est diffusé un documentaire de 15 minutes qu’il a réalisé et qui relate la transmission de Do Samba entre Luiz de Abreu et Calixto Neto. Entre le travail de répétition, les discussions entre les différents protagonistes et les plans montrant la découverte du spectacle par Neto, nous avons un large panorama de l’énorme travail qui a été réalisé en amont pour permettre à Calixto Neto de s’approprier O Samba do crioulo Doïdo. Le débat qui a suivi était emprunt d’émotion car ont été évoqués la pandémie, la présidence catastrophique de Jaïr Bolsonaro, la maladie qui a rendu Luiz de Abreu aveugle. C’est une soirée remarquable qui a ouvert le festival A Corps. Si vous avez l’occasion d’aller voir ce spectacle, je ne saurais trop vous conseiller d’y aller.


Samedi 6 avril (spectacle donné au Théâtre Auditorium) : Majorettes – Major’s Girls (capitaine : Josy)


L’histoire des Major’s Girls est étonnante. Car en effet, la troupe a été fondée en 1964 par la mère de la capitaine des majorettes, Josy. Entrée en 1964, Josy n’a plus jamais quitté Major’s Girls dont elle est toujours la capitaine. Les plus anciennes majorettes, âgées, comme Josy, de 75 ans ont également bon pied bon œil ; les plus jeunes, âgées d’une quarantaine d’années sont des copines ou les filles de leurs mères qui ont suivi les traces de leurs majorettes de mères. Les Major’s girls entrent par la salle et terminent leur premier numéro sur la scène qu’elles ne quitteront plus. Si les deux premiers numéros de la troupe de sont des « classiques » des défilés traditionnels, la suite du spectacle laisse entrevoir la vie de toute troupe / compagnie de majorettes : voyages, répétitions, raccords, défilés … Bref, tout ce qui fait la vie d’artiste, ou plutôt, la vie de majorettes. Ce sont ces moments de vie que Mickaël Phelippeau décrit dans la mise en scène qu’il a concocté pour cette compagnie atypique qui a reçu un accueil si enthousiaste de la part d’un public venu nombreux et qui s’est levé d’un bond pour saluer la très belle performance réalisée par ces dames très méritantes.


Lundi 8 avril (projection au TAP Castille) : ciné sandwich


Mais le festival A Corps c’est aussi du cinéma. Et le ciné sandwich, manifestation gratuite ouverte à tous a eu lieu à 12 heures 30 au TAP Castille (le cinéma d’art et d’essai du Théâtre Auditorium). Ce sont quatre courts-métrage, tous consacrés à la danse, qui ont été projeté dans une salle bien remplie. Le premier, Boléro, réalisé par Nans Laborde-Jourdaà (présent à Poitiers le jours de la projection), met le très beau et talentueux danseur François Chaignaud à l’honneur. François Chaignaud est venu au Festival A Corps il y a quelques années avec un spectacle de très belle tenue alliant danse et chansons espagnoles interprétées par François Chaignaud lui même (https://lyriqueinfo.blogspot.com/2019/04/francois-chaigneau-et-nino-laisne.html). Si boléro était un film de très belle facture parfaitement réalisé et défendu avec panache par François Chaignaud, le film d’animation qui a suivi était assez moyen. Le troisième film n’avait aucun intérêt ; quant au quatrième film, les danseurs ont pris la chanson chantée par Jeanne Moreau à leur compte.


Lundi 8 avril (spectacle donné au quai de livraison du Théâtre Auditorium) : Cuir (Arno Ferrera / Gilles Polet)


Pendant le Festival A Corps, le Théâtre Auditorium ouvre l’ensemble de ses espaces. C’est ainsi que pour Cuir, nous nous sommes retrouvés au quai de livraison, amménagé en salle de spectacle pour l’occasion. Le décor est tout simple mais efficace ; Arno Ferrera et Gilles Polet ont monté un spectacle, ou plutôt une performance physique, exceptionnelle alliant danse et cirque. J’ai été stupéfaite par ce Cuir tant les deux hommes enchaînent les mouvements et tours de force avec une apparente facilité. Mais ne nous y trompons pas chaque nouvel enchaînement est plus difficile que le précédent et l’on ne saurait s’étonner de les voir s’éponger à plusieurs reprises. Les 45 minutes de la performance passent sans que l’on s’en rende compte. Si vous en avez l’occasion, allez applaudir ces deux performeurs car ils le méritent grandement.


Lundi 8 avril (spectacle donné au Théâtre – TAP) : Mauvais Genres (2003)


C’est sans aucun doute la « performance » la plus décevante de toutes celles que j’ai vu au cours de cette semaine dédiée à la danse contemporaine. Déjà il y a très peu de musique, et les chansons choisies n’ont aucun intérêt et n’ajoutent absolument rien au propos des chorégraphes. Les danseurs, tous et toutes nu(e)s (ce n’est ni la première ni la dernière fois ou on verra des danseurs évoluer nus comme des vers), s’installent l’un après l’autre derrière des lampes et après maints mouvements sans intérêt, voila les « danseurs » qui revêtent, comme en canon, des couches de culottes en papier ou toute autre matière non identifiée. Après quoi, les membres de la compagnie s’agglutinent dans un coin puis dans un autre et encore dans un autre avant de se dévêtir partiellement et de quitter la scène.


Mercredi 10 avril (spectacle donné au Théâtre Auditorium) : Chant Eloigné La tierce avec les étudiants de l’Atelier de recherche chorégraphique de l’Université de Poitiers (création mondiale)


Chaque année, un danseur, une danseuse ou une compagnie s’installe en résidence à l’université de Poitiers. Pour l’année 2023/2024, c’est la compagnie La Tierce qui était en résidence et qui a travaillé avec les étudiants d’Isabelle Lamothe qui fait aussi partie de l’organisation du festival A Corps. Si l’on peut s’interroger sur les premières minutes du spectacle, ou l’on voit les jeunes gens évoluer sur la vaste scène du théâtre sans une seule note de musique. La « découverte » de la scène semble quelque peu étrange, mais l’on finit par s’y faire. Le « dépouillement de la scène de tous ses rideaux et lampadaires est parfaitement orchestrée et exécutée. Pendanrt l’évolution des jeunes danseurs monte « en gamme » elle n’est accompagnée par la musique que dans les dix dernières minutes après qu’ils aient chanté la chanson qui donne son titre au spectacle. Pour terminer leur performance, les 32 jeunes gens sortent par la salle avant de revenir saluer un public venu nombreux et qui les accueille chaleureusement.


Vendredi 12 avril (spectacle donné au Théâtre Auditorium) : Carcaça – Marco da Silva Ferreira


Carcaça était le spectacle de clôture du Festival A Corps. Venu du Portugal, Carcaça est un spectacle dynamique porté à bout de bras par les dix danseurs et les deux musiciens (un percussionniste et un musicien électro) qui lui donnent vie. Le moins que l’on puisse dire c’est que dès le début de la soirée, chacun s’engage à fond tant dans les mouvements que dans les chansons dont une chanson révolutionnaire, comme pour rappeler la révolution des oeillets qui secoua le pays en 1974 entraînant la chute de la dictature salazariste. Cette joyeuse bande de danseurs accompagnée avec talent par un percussionniste très inspiré, danse aussi sur des musiques électroniques judicieusement choisies. Et on ne peut que se laisser entraîner par toute cette énergie déployée sur la scène tant ces danses virevoltantes donneraient envie donneraient envie de se joindre à cette si jeune et si belle compagnie. Et le public ne s’y est pas trompé en réservant une ovation debout enthousiaste à l’ensemble des artistes présents sur la scène.


L’édition 2024 du Festival A Corps a eu un beau succès et le trentième anniversaire de la manifestation a été célébré avec panache. Je n’ai vu que six spectacles et performances mais, malgré une grosse déception, j’ai vu des choses de très belle facture qui méritent grandement d’être vues. J’insiste particulièrement sur O Samba do crioulo Doïdo (Calixto Neto), Cuir (Arno Ferrera/Gilles Polet) et sur Carcaça () qui m’ont vraiment séduite et que je ne peux que vous encourager à aller voir si ces trois spectacles passent par chez vous.

Crédit photo : Arthur Péquin

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