Saint Avertin : « De Monteverdi à Piazzola » un concert voix / piano aux couleurs inattendues

 


Quittant Poitiers nous prenons la route de Saint Avertin, petite ville d’Indre et Loire qui jouxte Tours. C’est au Nouvel Atrium de Saint Avertin qu’a lieu le récital du contre ténor portugo-brésilien Joao Paulo Feirrera accompagné par le pianiste et compositeur tourangeau Xavier Charles Catta. Les responsables de l’association France Portugal, souhaitant rendre hommage à Robert Collet, leur ancien président décédé d’un cancer foudroyant en février 2019, ont décidé de reverser les bénéfices de ce récital à la Ligue contre le cancer ; nous saluons ce geste généreux auquel nous nous associons.


La première partie du récital nous donne l’occasion d’écouter ou de réécouter des airs du répertoire habituel de contre ténor. C’est Claudio Monteverdi (1567-1643) qui a montré la voie aux compositeurs de la période baroque ; avec « Si dolce e’l tormento » composé en 1624, Joao Paulo Feirrera entame tranquillement un récital qui promet bien des surprises.Les extraits de « Tolomeo, rè d’Egitto » et de « Giulio Cesare in Egitto » de Georg Friedrich Händel (1685-1759) sont interprétés avec panache mais c’est surtout dans le second (« L’empio, sleale, indegno » extrait de Giulio Cesare in Egitto) que Feirrera laisse libre court à son talent de comédien. Les œuvres de Johnn Aldolp Hasse (1699-1783) moins connues mériteraient pourtant d’être plus souvent interprétées tant en récital qu’à l’opéra ; Si Atarserse est peut-être le plus connu des deux opéras de Hasse, Cléofide ne manque pas de belles pages, et « Pallido sole », ne manque assurément pas de charme. Feirrera et Catta enchaînent les chansons et airs d’opéra avec bravoure et avec une bonne humeur communicative. Feirrera sort de scène une dizaine de minutes, le temps de laisser son complice jouer deux extraits d’une œuvre de sa composition : Vrbanja (« Aux héros de Vrbanja » et « Valses des souvenirs »). Si nous apprécions la musique, fluide, sans fioritures, très « classique », nous aurions apprécié d’entendre deux extraits plus entraînants. Le retour de Joao Paulo Feirrera marque le début d’une deuxième partie surprenante puisque ce sont des musiques d’Amérique Centrale et d’Amérique du Sud que le duo Feirrera / Catta va interpréter. La chanson Lua branca (Lune blanche) de Gonzaga Chiquinha (1847-1935) donne le ton de cette seconde partie : humour, comédie, détente. Si Tamba-taja (plante d’Amazonie) et Uirapuru (oiseau d’Amazonie) de Henrique Waldemar (1905-1995) sont interprétées avec une certaine délectation, les trois chansons de Federico Garcia-Lorca (1898-1936) enfoncent le clou tant Feirrera prend un malin plaisir à traverser la scène tout en jouant la comédie avec gourmandise. Mais c’est bien la chanson Yo soy Maria tirée de « Maria de Buenos Aires »* l’opéra tango d’Astor Piazzola (1921-1922) qui est la plus émouvante de toutes celles que Feirrera et Catta ont interprété. Rappelons que l’héroïne de cet opéra particulier est déjà morte lorsque l’œuvre débute et que c’est son fantôme qui chante cette chanson. Xavier Charles Catta accompagne Joao Paulo Feirrera avec talent ; la sobriété du jeu de Catta souligne avec simplicité la belle voix de contre ténor de Feirrera qui ne manque pas à l’occasion de taquiner son accompagnateur qui ne manque pas de répondre avec humour.


C’est un récital d’autant plus inattendu que lorsque on va écouter un contre ténor, on s’attend à n’avoir que des œuvres du répertoire « traditionnel» dévolu à ce type de voix. Joao Paulo Feirrera et Xavier Charles Catta ont démontré avec talent et une bonne dose d’humour qu’il est tout à fait possible de sortir des sentiers battus.


Compte rendu, concert. Saint Avertin. Nouvel atrium, le 5 décembre 2021. Claudio Monteverdi (1567-1643) : Si dolce e’l tormento ; Riccardo Broschi (1698-1756) : Ombra fedele anch’io ; Antonio Caldara (1670-1736) : Sebben, Crudele ; Antonio Vivaldi (1678-1741) : extrait de Bajazet : In si torbida procella ; Georg Friedrich Händel (1685-1759) : extrait de Tolomeo, rè d’Egitto : Stelle amate, extrait de Giulio Cesare in Egitto : L’empio, sleale, indegno ; Johann Adolph Hasse (1699-1783) : extrait de Atarserse : Pallido sole, extraits de Cleofide : Vedrai con tuo periglio, Dov’e si affreti, Se ver che t’accendi, generoso risvegliati o core ; Xavier-Charles Catta (né en 1973) : Vrbanja : 12, Aux héros de Vrbanja ; 11, Valse des souvenirs ; anonyme : Casinha pequena (Modinha Brasileira composé en 1910) ; Gonzaga Chiquinha (1847-1935) : Lua Branca (lune blanche) ; Henrique Waldemar (1905-1995) : Tamba-taja (plante d’Amazonie), Uirapuru (oiseau d’Amazonie) ; Federico Garcia-Lorca (1898-1936) : Zorongo, Las tres hojas, Los reyes de la bataja, Sevillanas del siglo XVIII ; Geronimo Gimenez(1852-1923) : La tarantula ; Astor Piazzola (1921-1992) : Yo soy Maria (extrait de Maria de Buenos Aires) ; bis : Carlos Gardel (1890-1935) : Por una Cabeza. Joao Paulo Feirrera, contre ténor ; Xavier Charles Catta, piano.



* Maria de Buenos Aires a été montée avec succès au festival de Saint Céré en 2019 avec Eric Perez, Sandra Rumolino, Diego Valentin Tores et William Sabatier, bandonéon sous la direction de Gaspart Brécourt : https://lyriqueinfo.blogspot.com/2019/08/maria-de-buenos-aires-une-cloture-de.html



Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Francesco Durante et Antonio Vivaldi au programme du dernier concert des Estivales du Freney

Un opéra à la montagne : La serva padrona présentée dans le cadre des estivales du Freney d’Oisans

La harpe et la bête : un concert original en ouverture de la saison du Théâtre Auditorium de Poitiers