L’ensemble Jacques Moderne s’arrête à Poitiers avec le mythe d’Orphée au programme de sa tournée
Peu de mythes sont aussi populaires et ont été aussi utilisés que celui d’Orphée. La descente d’Orphée aux enfers de Marc Antoine Charpentier (1643-1704), opéra de chambre qu’il composa lorsqu’il était au service de Mademoiselle de Guise et la cantate Orphée descendant aux enfers ont reçu un très bel accueil de la part d’un public toujours aussi nombreux. Joël Suhubiette fait un travail de recherche considérable en amont des concerts qu’il dirige soit avec l’ensemble Jacques Moderne (dont il prit la direction en 1993, peu après la disparition de Jean Pierre Ouvrard son fondateur et directeur musical) soit avec Les Éléments dont il est le fondateur et qui est basé à Toulouse. Avec La descente d’Orphée aux enfers de Marc Antoine Charpentier (1643-1704), Joël Suhubiette, met à l’honneur un opéra de poche oublié dès sa création en 1687. L’opéra de Charpentier étant assez court – une heure à peine – Joël Suhubiette a ajouté une cantate du même Marc Antoine Charpentier et une complainte du compositeur Patrick Burgan (né en 1960) qui fut donnée en création mondiale à Tours en octobre dernier au festival Concerts d’automne.
Une nécessaire présentation pour expliquer les ajouts faits à l’opéra de charpentier
Avant d’entamer cette Descente aux enfers encore très peu connue, et assez courte au final (une heure environ), Joël Suhubiette s’avance sur la scène de l’auditorium après l’installation des musiciens et d’une partie du chœur pour présenter l’œuvre de Marc Antoine Charpentier mais aussi la complainte composée par Patrick Burgan (né en 1960) qu’il a composé à sa demande. La complainte de Burgan, placée à la fin du 1er acte de l’opéra de Charpentier, a été présentée en création mondiale à l’occasion du festival Concerts d’automne qui se déroule sur deux week-end à Tours. Et l’on ne peut que saluer la volonté de Joël Suhubiette de vulgariser ainsi la musique classique et contemporaine avec un discours clair, net, précis et sans effets de manche.
Un opéra peu connu qui mériterait d’être monté plus souvent
Les deux mythes les plus populaires sont ceux de Faust (mis en musique, théâtre, films un nombre incalculable de fois) et d’Orphée dont, là aussi, on ne compte plus le nombre d’opéras, opéras bouffes, opérettes, cantates et films qui ont fleuri après 1607. Et si Claudio Monterverdi (1567-1643) a été le premier à mettre le mythe d’Orphée en musique – l’Orfeo, composé et créé en 1607 – de nombreux compositeurs ont suivi son exemple au fil du temps. Marc Antoine Charpentier s’est aussi emparé du mythe d’Orphée pendant ses années de service auprès de Mlle de Guise. Si la descente d’Orphée aux enfers (1686-1687) est un opéra de chambre de seulement deux actes qu’il dirigeait depuis le pupitre des Haute contre (ou ténors), Charpentier en a soigné la musique avec la même rigueur que ses autres œuvres. Même si l’on peut remercier William Christie et Les arts florissants d’avoir sorti La descente d’Orphée aux enfers de l’oubli en étant les premiers à présenter le chef d’œuvre de Charpentier sur scène puis en le gravant au disque, on ne peut que regretter que cet opéra soit encore si peu représenté et si peu gravé au disque.
Une distribution de très belle tenue soutenue par un orchestre au top
Si presque tous les chanteurs campent de petits rôles de nymphes ou de compagnons d’Orphée, ils chantent aussi la partition du chœur avec talent. Nous regrettons d’ailleurs qu’il n’y ait pas de troisième acte puisque, n’ayant pas l’occasion d’assister à la remontée d’Orphée et d’Eurydice des enfers, nous ne pouvons pas profiter longtemps de la belle voix de soprano de Julia Wischniewski qui interprète le très court rôle d’Eurydice. C’est le ténor américain Robert Getchell qui campe Orphée. Et il le fait avec talent : la diction est idéale, la voix est parfaitement maîtrisée, ferme, ample, passant sans efforts dans tout l’auditorium. Le désespoir d’Orphée est si bien transcrit par le chant de Getchell qu’on ne peut qu’être sensible à cette détresse, tout comme Apollon qui, incarné ici par le baryton Thierry Cartier, parvient à convaincre Orphée de descendre aux enfers chercher sa chère Eurydice plutôt que de se donner la mort. Malgré la brièveté de son intervention, Cartier montre un Apollon autoritaire ; tout comme Proserpine (Anne Sophie Honoré), séduite par le chant d’Orphée, obtient de Pluton (Mathieu Heim) que le couple quitte les enfers à une condition : Orphée ne doit pas se retourner pour regarder Eurydice. Pour bien souligner la peine d’Orphée et sa détermination à retrouver son épouse adorée après l’intervention d’Apollon, nous écoutons une cantate composée par Marc Antoine Charpentier en 1683 ou en 1684, peu avant qu’il ne mette en musique le mythe d’Orphée. Joël Suhubiette dirige l’ensemble des artistes présents sur le plateau d’une main ferme ; les tempos et les nuances sont parfaits et le valeureux Concerto Soave (fondé et dirigé par Jean Marc Aymes) interprète la musique de Charpentier avec talent.
Une complainte en création mondiale
Pour compléter cet opéra dont on ne sait pas vraiment s’il est resté inachevé ou si Charpentier s’est volontairement arrêté après le deuxième acte, Joël Suhubiette a commandé une œuvre au compositeur Patrick Burgan (né en 1960). Pour se faire, Burgan a mis en musique un poème de la poétesse Louise Labé (vers 1524-1566) ; pour rester dans la simplicité du chef d’œuvre de Charpentier, Burgan a composé une œuvre A Cappella. L’interprétation à douze voix de cette complainte est une réussite : la coordination entre le chœur et son chef est parfaite, la justesse est au rendez-vous, la diction est parfaite.
C’est une très belle lecture des chefs d’œuvre de Marc Antoine Charpentier et de Patrick Burgan que l’ensemble Jacques Moderne a proposé à un public venu nombreux. On ne peut qu’apprécier de voir présentées des œuvres encore peu connues des mélomanes par des artistes exceptionnels qui ont reçu une ovation grandement méritée en fin de concert.
Compte rendu, opéra. Poitiers. Auditorium, le 12 mars 2025. Marc Antoine Charpentier (1643-1704) : La descente d’Orphée aux enfers H 488. Opéra en un acte – librettiste inconnu – ; Orphée descendant aux enfers, cantate H 471 ; Patrick Burgan (né en 1960) : complainte (composée sur un poème de Louise Labé [1526-1566]). Robert Getchell, Orphée ; Julia Wischniewski, Eurydice ; Matthieu Heim, Pluton ; Anne Sophie Honoré, Proserpine. Olivier Coiffet ; Cécile Dibbon Lafarge ; Vincent Lièvre-Picard ; Margot Mellouli ; Cyrpille Meier ; Marc Manodrita ; Cyrille Gautreau ; Cyrille Lerouge ; nymphes, bergers, fantômes, habitants des enfers. Ensemble Jacques Moderne ; Concerto Soave (Jean Marc Aymes, direction musicale). Joël Suhubiette, direction.
Crédit photo : Romain Serrano
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