Un Bizet méconnu au Théâtre Auditorium de Poitiers
De Georges Bizet (1838-1875) on retient essentiellement Carmen, son dernier chef d’ œuvre, devenu un tube planétaire peu après la disparition de son compositeur. Cependant, il laisse un corpus musical et opératique non négligeable car si Les pêcheurs de perles (1863) et La jolie fille de Perth (1867) sont représentés assez régulièrement, il n’en est pas de même pour Le docteur Miracle qu’il composa en 1857 alors qu’il n’avait même pas dix-huit ans. En programmant cette opérette, œuvre assez courte (elle dure entre une heure dix et une heure vingt) mais charmante, les responsables de l’Orchestre de Chambre Nouvelle Aquitaine ont eu une excellente idée car, c’est un moment joyeux qui s’annonce pendant la période de l’avent, ils remettent sur le devant de la scène une œuvre pleine d’humour qui gagne réellement à être connue. Pour l’occasion, Les responsables de la phalange poitevine ont invité un quatuor d’acteurs chanteurs de très belle facture soutenus par le comédien Pierre Lebon qui est en charge de la mise en espace et l’excellent chef d’orchestre Nicolas Simon qui monte sur le podium en lieu et place de Jean François Heisser.
Une mise en espace agréable
Si le comédien Pierre Lebon tient le rôle muet du domestique, il est aussi et surtout en charge de la mise en espace ; et elle est plutôt agréable à regarder cette mise en espace : pas d’excès ni dans un sens ni dans l’autre, une gestuelle et des déplacements pensés jusque dans les moindres détails, des pastiches sympathiques. Les quelques éléments de décors judicieusement installés à droite et à gauche de la scène agrémente agréablement le vaste plateau de l’auditorium. Quant aux réclames (ou publicités) installées derrière l’orchestre elles sont plutôt hilarantes ; et pour ignorer qu’on vient voir le docteur Miracle il fallait le vouloir.
Un quatuor de chanteurs très en forme
Il n’y a que quatre personnages dans le docteur Miracle auxquels se joint un domestique (rôle muet). Pour cette série de quatre représentations (car la production a ensuite tourné dans les département de l’ancienne région Poitou Charentes) les responsables de l’OCNA ont invité quatre très beaux artistes lyriques et le comédien Pierre Lebon qui endosse avec talent le rôle muet du domestique (lequel vient d’être renvoyé pour avoir laissé la fille du podestat et le capitaine Silvio se rencontrer à l’insu du père de la jeune fille) ; je regrette cependant que la tirade que « prononce » Pierre Lebon soit si peu compréhensible. Car en effet, le comédien parlait si vite qu’il était compliqué de comprendre ce qu’il disait. En ce qui concerne les chanteurs, j’ai particulièrement apprécié la séduisante soprano jordanienne Dima Bawab qui incarnait Laurette. La voix ferme et parfaitement maîtrisée de la jeune femme passait la rampe de l’auditorium sans efforts ; l’air dans lequel elle chante la louange de son cher Silvio est interprété avec élégance, le duo avec Silvio, plus grave car l’on devine l’urgence de la situation, est tout aussi beau mais c’est bien le quatuor de l’omelette qui permet à chacun d’exprimer la vis comica voulue par le jeune Bizet. Le jeune ténor breton Kaëlig Boché incarne un séduisant capitaine Silvio ; le jeune homme, qui se fait embaucher par le podestat sous le nom de Pasquin, le « chaperon » de Laurette parvient à se faire passer pour un benêt en chantant avec conviction « J'suis plus honnête que je suis bête » . Si le duo avec Laurette est bien maîtrisé, Boché prend un malin plaisir à chanter le quatuor de l’omelette. Héloïse Mas, visiblement très en forme, prend un réel plaisir à chanter le rôle de Véronique. La voix chaleureuse de mezzo de la jeune femme envahit l’auditorium avec une belle aisance ; si je regrette que Véronique n’ait pas d’air propre, je me suis beaucoup amusée en la voyant prendre un malin plaisir à chanter les trois quatuors composés par un Bizet très inspiré pour son jeune âge. Thomas Dolié complète avec bonheur une distribution survoltée ; le baryton parisien très en verve donne au podestat un mordant et un charisme plaisants à voir, même si au final il est quand même le dindon de la farce malgré sa colère qu’il laisse éclater dans l’air « Dérobez-vous à mon juste courroux » après qu’il ait découvert que Pasquin et le capitaine Silvio sont une seule et même personne. Et même si le podestat se fait encore berner, Dolié le rend attachant.
Nicolas Simon dirige un orchestre très en forme
L’Orchestre de Chambre Nouvelle Aquitaine était dirigé pour l’occasion par Nicolas Simon qui prend les choses à son compte dès le début de la soirée. La direction est ferme, nerveuse, dynamique ; attentif à ses chanteurs Nicolas Simon, qui a déjà dirigé des opéras, veille à ne jamais les couvrir. Plein d’humour, le chef se fait aussi le complice de Pierre Lebon qui débite sa tirade trop rapidement pour qu’on puisse comprendre ce qu’il raconte. Quant à l’orchestre, sous la double impulsion de Nicolas Simon, son chef, et de François Marie Drieux, son premier violon, il interprète la partition de Bizet avec talent.
C’est une très belle lecture du Docteur Miracle que Nicolas Simon et l’ensemble des artistes présents sur le vaste plateau de l’auditorium ont présenté à un public très enthousiaste qui leur a réservé un accueil chaleureux.
Compte rendu, opéra. Poitiers. Auditorium, le 12 décembre 2024. Georges Bizet (1838-1875) : Le docteur Miracle. Dima Bawab, Laurette ; Héloïse Mas, Véronique ; Kaëlig Boché, Capitaine Silvio ; Thomas Dolié, le podestat ; Pierre Lebon, mise en espace, le domestique (rôle muet). Orchestre de Chambre Nouvelle Aquitaine ; Nicolas Simon, direction.4
Crédit photo : Simon-c-Lyodoh-Kaneko 2
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