Quan lo rossinhols : L’ensemble Ars Nova s’associe avec l’ensemble Gilles Binchois pour un concert inattendu



 

Depuis 2013, année du cinquantenaire d’Ars Nova, j’ai régulièrement assisté aux concerts de cet ensemble spécialisé dans la musique contemporaine et donc, par ricochets, j’ai assisté à plusieurs créations mondiales (dont A l’agité du bocal de l'inénarrable Bernard Cavanna [né en 1951]). Le concert de mardi soir est d’autant plus inhabituel qu’il rassemblait deux ensembles radicalement différents, l’ensemble Ars nova, spécialisé dans la musique contemporaine, et l’ensemble Gilles Binchois, spécialisé dans la musique ancienne depuis sa fondation en 1979. C’était aussi l’occasion de voir « associés » des compositeurs « traditionnels » comme Maurice Ravel (1875-1937) ou Olivier Messiaen (1908-1992), par exemple, et plusieurs troubadours du XIe siècle dont le plus connu est Gaucelm Faidit (1156-1202). Pour ce concert exceptionnel à tous points de vue, Benoit Sitzia, le directeur général d’Ars Nova avait également invité la jeune et brillante soprano Catherine Trottmann.



Si d’aucuns auraient pu se laisser surprendre par un tel programme, voire s’en offusquer, cela serait une erreur tant il est bien construit ; et l’alternance entre les chants des troubadours, les pièces de musique instrumentales et les mélodies interprétées par Catherine Trottmann est fort judicieuse et sans temps morts. La mise en espace réalisée par Benoit Sitzia est de très belle facture aidée qu’elle est par les lumières de Jérôme Deschamps. Si j’ai particulièrement apprécié de voir le déroulé des poèmes en langue d’oc et en français moderne défiler sur le rideau transparent, quel dommage que cela soit allé si vite ; c’est le seul petit reproche que je formulerais ici.



Musicalement, l’ensemble Ars Nova, toujours aussi rigoureux dans sa préparation, est fort bien dirigé par un Simon Proust visiblement très en forme. La direction est sobre mais efficace : départs précis, nuances et tempos quasi parfaits … C’est très appréciable après avoir vu deux cheffes d’orchestre négliger, voire même oublier, un détail aussi important. Vocalement la jeune soprano française Catherine Trottmann est très en voix ; les trois poèmes de Mallarmé de Maurice Ravel (1875-1937) sont interprétés sans faiblesse d’une voix ferme. Trottmann rend justice avec talent à Luciano Berio (1925-2003) en interprétant ses folk songs avec sobriété. Je note avec plaisir que la création est toujours aussi vivante et active tant en France qu’en Espagne ; les Quatre fragments de Jaufré Rudel de Joan Magrané Figuera (né en 1988), qu’il a composé à partir de fragments d’œuvres de ce troubadour ont ainsi été créés avec succès en ce beau mardi soir de mai. En ce qui concerne les poèmes/chansons des troubadours ce sont les chanteurs et les musiciens de l’ensemble Gilles Binchois qui les interprètent avec talent et sobriété. C’est la soprano Anne Marie Lablaude, fort bien accompagnée par Baptiste Romain, qui débute la soirée avec A chantar composé par la comtesse de Die (1140-1212). Si ces poètes furent tous très connus en leur temps, seul le nom de Gaucelm Faidit (1156-1202) a traversé les siècles. Cependant, les chants et poèmes choisis pour ce concert sont tous d’une qualité remarquable car chanter l’amour courtois est très difficile.


Les concerts de l’ensemble Ars Nova sont en général remarquables, mais celui de mardi soir est à mettre à part tant il est exceptionnel et hautement inhabituel. L’association de deux mondes à la fois si radicalement opposés et si complémentaires a donné un résultat qui allait au-delà des espérances de ceux qui l’ont préparé avec amour et rigueur. On ne peut que saluer une telle audace en espérant que Quan lo rossinhols aura l’honneur du DVD et qu’un autre programme dans le même style verra le jour très bientôt.


Compte rendu, concert. Poitiers. Théâtre, le 3 mai 2022. Comtesse de Die (1140-1212) : A chantar ; Maurice Ravel (1875-1937) : 3 poèmes de Mallarmé ; Guiraut de Borneilh (1138-1215) : Reis Glorios (arrangement de Dominique Vellard) ; Igor Stravinsky (1882-1971) : Trois poésies de la lyrique japonaise ; Olivier Messiaen(1908-1992) : l’abîme des oiseaux, l’alouette Lulu ; Jaufré Rudel (1120-1147) : Quan lo riu de la fontana, Lanquan li jorn ; Joan Magrané Figuera (né en 1988) : Quatre fragments de Jaufré Rudel (création mondiale) ; Gaucelm Faidit (1156-1202) : Lo rossignolet salvatge (arrangement Baptiste Romain) ; Luciano Berio (1925-2003) : Folk songs ; Bernard de Ventadour (1150-1200) : Quan vei la lauzeta mover, la doussa votz. Catherine Trottmann, mezzo soprano ; ensemble Ars Nova ; ensemble Gilles Binchois ; Simon Proust, direction. Benoit Sitzia, direction artistique et scénographie ; Jérôme Deschamps, création lumières et scénographie.

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