La caravane du Caire d’André Grétry (1741-1813) fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Tours

 


La caravane du Caire d’André Grétry (1741-1813) fait partie des innombrables opéras français qui dorment depuis de lustres sur des étagères devenues poussiéreuses au fil du temps. Avec cet opéra oublié de Grétry, qui fut pourtant créé triomphalement en 1783, l’Opéra de Tours fait une triple première : recréation mondiale (après 240 ans passés à dormir dans des placards), entrée au répertoire de la maison et Nouvelle Production. Pour cette occasion d’autant plus remarquable qu’elle est rare, les responsables de l’Opéra de Tours ont particulièrement soigné la distribution et la mise en scène. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le pari est largement gagné. Il faut aussi signaler que La caravane du Caire est une coproduction entre l’Opéra de Tours et l’Opéra Royale de Versailles.


En plus de quarante ans de mélomanie, les fois ou je vais à l’opéra, j’en ai vu des mise en scène contemporaines totalement inadaptées aux œuvres qu’elles sont censées servir (je rappelle La clémence de Titus vue à Nantes en décembre dernier : https://lyriqueinfo.blogspot.com/2021/12/avec-la-clemenza-di-tito-lopera-de.html). Pour cette Nouvelle Production de La caravane du Caire, le comédien Marshall Pinkoski, assisté par Charles Di Meglio, a fait un travail remarquable avec une direction d’acteurs d’un niveau exceptionnel, même si on peut regretter quelques moments un peu scolaire du côté des chœurs. Le travail de réflexion en amont de cette production a été d’autant plus important qu’il s’agit aussi d’une recréation ; et Pinkoski a parfaitement compris cette Caravane du Caire et il a créé un écrin pour l’ensemble des artistes présents sur la scène. J’ai apprécié l’utilisation très judicieuse de l’immense scène de l’Opéra de Tours qui permettait au public de profiter au mieux des solistes. Les décors magnifiques d’Antoine Fontaine ont le mérite d’emmener le public au Caire ; du port au palais et du palais au souk, même si on visite une ville de conte de fée, Fontaine a l’immense mérite de nous emmener effectivement en Égypte. Je dois rendre un hommage particulier aux costumes de Camille Assaf qui sont superbes ; du « corps » de ballet, composé de huit excellents danseurs, jusqu’à Osman Pacha, tout le monde a des costumes parfaitement travaillés et adaptés à sa condition sociale. Les lumières de Hervé Gary donnent une ambiance à la fois inquiétante, même minimisée au maximum la confrontation entre l’occident et l’Afrique n’en est pas moins présente, et féerique, les deux histoires d’amour qui s’entremêlent parfois, se télescopent souvent ne manquent pas de prendre une tournure « stupéfiante » sous les lampes vigilantes d’Hervé Gary.


C’est l’Orchestre symphonique région Centre Val de Loire / Tours qui est dans la fosse pour accompagner les artistes présents sur la scène ; pour cette Nouvelle Production si importante, je rappelle que c’est une triple première à laquelle le public a assisté dimanche, c’est la cheffe française Stéphanie Marie Degand qui est sur le podium. J’ai apprécié la direction dynamique et alerte de cette jeune femme, qui dirige un opéra pour la première fois en tant que cheffe titulaire. Si elle est survoltée par le pari immense que constitue La caravane du Caire, et on peut le comprendre, elle semble avoir, au passage, oublié d’ajouter quelques nuances notamment dans certains ensembles qui étaient parfois interprétés avec un peu trop d’enthousiasme. Le chœur de l’Opéra de Tours, parfaitement préparé par son chef David Jackson, livre une performance vocale et musicale de toute beauté ; si on peut regretter une implication pas toujours au top en ce qui concerne la mise en scène, l’ensemble est globalement de très belle tenue. Quant aux huit danseurs, ils sont élégants, gracieux, charmants dans leurs beaux costumes ; et les chorégraphies de Jeannette Lajeunesse Zingg sont pleines de fraîcheur et jalonnent judicieusement l’œuvre de Grétry qui s’est plié aux usages du XVIIIe siècle qui imposait d’insérer des ballets dans les opéras français de l’époque (au siècle suivant, Giuseppe Verdi s’y plia à contrecœur pour Jérusalem et Don Carlos entre autres), intervenant à des moments ou la tension est palpable.


Le moins que l’on puisse dire c’est que les responsables de l’Opéra de Tours ont particulièrement soigné la distribution pour cette mini série (il n’y a hélas que deux représentations). Si certains théâtres, même parmi les plus prestigieux, ont tendance à négliger la diction, j’ai pu constater avec une intense satisfaction que ce n’était pas le cas à Tours. Chaque artiste, solistes et artistes des chœurs, porte une attention très particulière à la musique, bien sûr, mais aussi et surtout au texte ; et c’est ce qui fait de cette triple première qu’est La caravane du Caire une telle réussite. Au sein de cette pléiade d’artistes aussi excellents les uns que les autres, je signalerai en premier le superbe Saint Phar de Blaise Rantoanina. Le jeune ténor malgache, venu à Paris pour apprendre le chant, avait fait une apparition très remarquée au Théâtre Auditorium de Poitiers en 2018 (lors d’un concert de noël avec l’Orchestre de Chambre Nouvelle Aquitaine et Isabelle Philippe) alors qu’il n’était encore qu’un étudiant ; en quatre ans, les progrès accomplis sont remarquables. La voix est plus ferme, plus mûre, plus sûre, la tessiture correspond bien au rôle du jeune et vaillant français fou d’amour pour sa dulcinée. La soprano Maya Villanueva est une très belle Zélime. La jeune femme fait sien les doutes et les espoirs de Zélime et vocalement, on a droit à une démonstration de chant grandeur nature. Tout y est : voix ample, large tessiture, beau médium, aigus insolents, graves assumés. C’est le baryton québécois Olivier Laquerre qui endosse le rôle d’Osman Pacha ; cet artiste chevronné, à la belle voix chaude et chaleureuse donne au souverain cairote une dimension humaine peu commune. Marié à Almaïde il ne la désire plus mais l’arrivée de Zélime va tout changer et entraîner une série de quiproquos.Si Enguerrand de Hys est un excellent Tamorin, je ne comprends pas le besoin qu’a ressenti Marshall Pinkoski d’en faire un homosexuel plus proche de la folle que de l’homosexuel mondain (c’est d’ailleurs le « détail » le moins crédible de l’ensemble d’autant que même si l’homosexualité n’est pas illégale en Égypte elle est combattue par les autorités et susceptible d’être punie de sévères sanctions. Il est donc difficile d’imaginer qu’un souverain ou un noble égyptien du XVIIIe siècle tolère la présence d’un eunuque homosexuel dans son personnel). Si la belle voix de ténor d’Enguerrand de Hys rend justice à son personnage, le talent de comédien de De Hys permet à l’auditoire de deviner l’ambition de l’eunuque. Séduisant également Jean Gabriel Saint Martin qui campe les deux rôles de Husca (actes 1 et 2) et de Florestan (acte 3) ; la belle voix de baryon de Saint Martin circule dans la salle sans efforts. S’il est un marchand d’esclaves ambitieux, courageux (il se bat contre l’envahisseur aux côtés de Saint Phar qu’il libère en récompense de son courage) et impitoyable dans les deux premiers actes, Saint Martin campe en seconde partie un Florestan élégant, racé, ferme et sur de lui, malgré l’inquiétude pour son fils perdu. La soprano Chloé Jacob est une belle Almaïde tant vocalement, la voix est ferme et assurée, que scéniquement car Jacob fait ressortir avec talent toute la colère et la jalousie d’Almaïde ; et même si elle semble bien terne face à la belle française Zélime, il ne faut pas se fier aux apparences car la souveraine est trop fine pour ne pas comprendre ce qui se trame dans son dos. Lili Aymonino, Tatiana Probst, Mélanie Gardyn, Jean Marc Bertre et Yaxiang Lu complètent avec bonheur une très belle distribution qui fait honneur à Grétry et à l’Opéra de Tours.


Programmer une rareté comme La caravane du Caire d’André Grétry était un pari risqué pour l’Opéra de Tours. Et il est largement gagné : la mise en scène est superbe, même si on peut regretter un contre-sens inutile en ce qui concerne Tamorin, les décors et les costumes sont de très belle facture, l’Orchestre et le chœur sont fort bien dirigés par une Stéphanie-Marie Degand très inspirée, j’espère juste qu’elle fera un peu plus attention aux nuances pour les prochains opéras qu’elle dirigera, les danseurs ont été parfaitement préparés par la chorégraphe Jeannette Lajeunesse Zingg. Quant à la distribution, on ne pouvait espérer une plus belle réunion de belles voix et de talents venus de tous horizons . J’espère que la représentation de ce soir sera un succès ; une autre série est prévue à l’Opéra Royal de Versailles, qui co-produit cette Caravane du Caire avec l’Opéra de Tours, pour la saison prochaine. Est il déraisonnable d’espérer une parution en CD et/ou en DVD ?


Compte rendu, opéra. Tours. Grand Théâtre, le 24 avril 2022. André Ernest Modeste Grétry (1741-1813) : La caravane du Caire, opéra en 3 actes sur un livret d’Étienne Morel de Chédeville. Les chanteurs : Jean Gabriel Saint Martin, Husca / Florestan ; Enguerrand de Hys, Tamorin ; Maya Villanueva, Zélime, Chloé Jacob, Almaïde ; Blaise Rantoanina, Saint Phar ; Olivier Laquerre, Osman Pacha ; Lili Aymonino, esclave française ; Tatiana Probst, esclave italienne ; Mélanie Gardyn, esclave allemande ; Jean Marc Bertre, Osmin ; Yaxiang Lu, Furville. Les danseurs : Emma Brest, Malory Delenclos, Vincent Gerbet, Margritte Gouin, Ludovick Le Floc’h, Laurine Ristroph, Nicolas Rombaut, Dominic Who. Chœur de l’Opéra de Tours, Orchestre symphonique région Centre Val de Loire / Tours ; Stéphanie Marie Degand, direction. Marshall Pinkoski, mise en scène ; Charles Di Meglio, assistant à la mise en scène ; Antoine Fontaine ; décors ; Camille Assaf, costumes ; Jeannette Lajeunesse Zingg, chorégraphies ; Hervé Gary, lumières ; Stéphane Le Bel, assistant lumières.

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