L'Opéra de Paris présente une nouvelle production de Wozzeck à son public

Alors que la saison 2021/2022 de l’Opéra de Paris bat son plein et que la prochaine saison devrait être annoncée d’ici à quelques semaines, c’est une nouvelle production de Wozzeck qui est actuellement donnée dans l’immense navire qu’est la salle de l’opéra bastille. Si cette production est nouvelle à Paris, elle a déjà été donnée dans les villes qui participent à cette coproduction (Festival de Salzbourg, Metropolitan opera de New York, Canadian Opera Company de Toronto, Opéra de Sydney). C’est à l’une des dernières représentations de cet opéra d’Alban Berg (1885-1935) que nous avons assisté en cette belle fin de mois de mars.


Et le moins que l’on puisse dire c’est que c’est une réussite sur tous les plans. La mise en scène de William Kentridge et de Luc de Wit, son co-metteur en scène est dynamique, et sans temps mort avec une direction d’acteurs remarquable ; chacun des artistes présents sur scène peut ainsi laisser libre court à son talent de comédien. Ainsi, le mal-être de Wozzeck, le paternalisme du capitaine et le sadisme du docteur, qui n’est pas sans rappeler celui des médecins des camps nazis, ressortent ils avec force sans jamais tomber dans la vulgarité ; brillante aussi l’idée d’utiliser des figurants pour déplacer certains éléments de décors (comme la caméra C8 habilement dissimulée dans un coffrage bois remarquablement construit qu’utilise Wozzeck au tout début de la représentation). Sabine Theunisen réalise des décors qui renforcent l’impression de malaise qui traverse le livret d’un bout à l’autre. Le grand module de planches sert à la fois de maison pour Wozzeck, Marie et leur fils (quel dommage d’ailleurs que cet enfant soit personnalisé par une simple poupée de chiffon et non par un figurant en chair et en os car cela amoindrit sensiblement certaines des répliques de Marie en cours de soirée), de bureau pour le capitaine, de cour d’immeuble, quant à l’armoire, elle sert principalement de cabinet pour les expériences que le docteur mène sur le malheureux Wozzeck. Les vidéos de Catherine Meyburgh, parfaitement diffusées par Kim Gunning, sont remarquables. Elles rappellent, sans jamais forcer le trait, les ravages épouvantables de la première guerre mondiale  au travers des défilés des gueules cassées et des victimes de la « der des ders » des explosions de mines. Les lumières en clair-obscur d’Urs Schönebaum et les beaux costumes de Greta Goiris parachèvent parfaitement l’ambiance de malaise parfois glaçante du livret et parfaitement rendue par un William Kentridge très inspiré. 


Dans la fosse, l’orchestre de l’Opéra National de Paris est dirigé avec bonheur par la cheffe d’orchestre finlandaise Susanna Mälkki. Si nous apprécions la battue dynamique et ferme de Mälkki, qui a su prendre la phalange en main avec maestria, si les tempos adoptés sont quasi parfaits nous regrettons des nuances parfois un peu trop fortes au point de couvrir les artistes évoluant sur le plateau. Cela étant dit, la performance orchestrale est excellente et Berg n’aurait certes pas désavoué la phalange et sa cheffe. Même si l’on voit peu le chœur de l’Opéra de Paris, ses deux interventions, les hommes d’abord puis les femmes, sont excellentes tant musicalement qu’au niveau de la diction, remarquable par ailleurs ; Ching-Lien Wu, la cheffe des chœurs de l’Opéra de Paris a réalisé avec ses « troupes » un excellent travail de préparation en amont des représentations. Cela étant dit, nous aurions aimé voir la maîtrise des Hauts de Seine et le chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris avoir l’honneur de la scène pour l’unique intervention des enfants, en fin de représentation. Cela étant dit, une intervention des coulisses n’est pas aussi évidente qu’il y paraît car le calage entre la cheffe de choeur et la cheffe d’orchestre est un travail d’équilibriste parfaitement réussi dans ce cas précis.


Vocalement, les solistes invités pour cette série de représentations sont excellents. A tout seigneur, tout honneur, le baryton danois Johan Reuter est un Wozzeck de toute beauté. Il incarne à merveille le personnage faible, tourmenté, malade à la limite de la paranoïa qui finit par l’entraîner dans une folie meurtrière qui prive son petit garçon de ses deux parents. La belle voix ample, ferme et parfaitement maîtrisée de Reuter passe dans la salle sans efforts ; si on est plus proche de l’art déclamatoire (annonçant quelque part le fameux « Dialogues des carmélites » de Francis Poulenc (1899-1963) quelques décennies plus tard) que de l’art lyrique Reuter, dont la diction est quasi parfaite, excelle dans cet exercice difficile. Eva-Maria Westbroek campe une très belle Marie ; la soprano néerlandaise fait de Marie une femme certes amoureuse mais tourmentée par la situation de cet homme (Wozzeck) qu’elle devine malade, sous emprise d’hommes mentalement plus forts que lui. C’est cette situation difficile qui la pousse à l’infidélité car le tambour-major n’a pas beaucoup d’efforts à faire pour la voir tomber dans ses bras. Le ténor allemand Gerhard Siegel est un capitaine convaincant ; le paternalisme du militaire se veut bienveillant et pourtant, sans s’en rendre compte, il fait beaucoup de mal à Wozzeck rien qu’en s’adressant à lui en utilisant la troisième personne (le médecin fait d’ailleurs de même) ou en lui annonçant en toute innocence, encore que l’on peut se poser la question, l’infidélité de Marie par exemple. Le docteur de Falk Struckmann est aussi sadique et retors que le seront, peu d’années plus tard, les médecins nazis dans les camps de concentration ; la basse allemande entre dans la peau de son personnage avec talent bien qu’il soit toujours un peu compliqué d’incarner un homme aussi sadique. Dans les rôles secondaires Nous saluons le beau tambour major du ténor anglais John Daszak ; la voix est solide et passe la rampe de l’orchestre sans efforts. Ses apparitions sont brèves mais suffisamment marquantes pour que le public s’en souvienne. Marie-Andrée Bouchard-Lesieur est une Margret de luxe que nous espérons revoir à Paris distribuée dans un rôle plus conséquent. Les autres rôles secondaires sont fort bien tenus et on ne peut que les saluer tant ils complètent cette très belle distribution avec honneur.


C’est une très belle production de Wozzeck que l’Opéra de Paris a présenté à son public. William Kentridge a su motiver l’ensemble des artistes présents sur le plateau, solistes et chœurs, avec une mise en scène très inspirée qui montre avec subtilité, et une réelle sensibilité, les ravages que peuvent provoquer un paternalisme faussement bienveillant et un sadisme sans fard sur un homme fragile et plus ou moins paranoïaque comme Wozzeck. Nous tenons à saluer le geste de solidarité de John Daszak qui, au moment du salut final, arborait un brassard aux couleurs de l’Ukraine.

Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Bastille, le 27 mars 2022. Alban Berg (1885-1935) : Wozzeck, opéra en trois actes sur un livret du compositeur d’après le livre Woyzeck de Georg Büchner (1813-1837). Johann Reuter, Wozzeck ; John Daszak, Tambour Major ; Tansel Akzeybek, Andrès ; Gerhard Siegel, Hauptmann ; Falk Struckmann, Doktor ; Mikhail Timoshenko, Erster Handwerksbursch ; Tobias Westman, Zweiter Handwerksbursch ; Heinz Göhrig, Der Narr ; Eva-Maria Westbroek, Marie ; Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Margret ; Vincent Morell, Ein Soldat ; Luca Sannai, Solo Chœur. Chœur et orchestre de l’Opéra National de Paris ; maîtrise des Hauts de Seine (Gaël Darhen, directeur de la maîtrise des Hauts de Seine) et chœur d’enfants de l’Opéra National de Paris. Susanna Mälkki, direction. William Kentridge, mise en scène ; Luc de Wit, co-mise en scène ; Catherine Meyburgh, vidéo ; Sabine Theunisen, décors ; Greta Goiris, costumes ; Urs Schönebaum, lumières ; Kim Gunning, opératrice vidéo ; Ching-Lien Wu, cheffe des chœurs. 


Crédit photos : Agathe Poupeney

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