Avec La clemenza di Tito, l’Opéra d'Angers-Nantes remonte dans le passé de l’empire romain

 


Poursuivant notre périple de l’Avent, nos pas nous portent au Théâtre Graslin, la partie nantaise de l’opéra d'Angers-Nantes. Pour sa production opératique de fin d’année, les responsables de la structure ont programmé un opéra de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : La clemenza di Tito. Cet empereur romain, qui succéda à Vespasien, son père, eut à gérer, peu après son accession au trône, les suites de la terrible éruption du Vésuve qui fit disparaître Pompéi et Herculanum de la surface de la terre en l’an 79 de notre ère. Prince violent, cruel et rapace, entre autres défauts, son accession au trône le transforma radicalement pendant son bref règne (de 79 à 81 de notre ère). Les causes de son décès sont inconnues), il fut totalement différent : généreux, bienveillant, attentif aux autres ; empereur compétent il surprit tout le monde en gouvernant avec sagesse. Il se montra si exemplaire que, selon sa formule, s’il n’avait pas fait acte de générosité au moins une fois il avait perdu sa journée. Mozart et Caterino Mazzolà, son librettiste, se sont inspirés de Métastase et de la vie des douze césars de Suétone pour la composition de cette œuvre qui fut créée à Prague en septembre 1791 à l’occasion du couronnement de Léopold II comme roi de Bohême. Cette série de représentations est un report de la saison 2019/2020 suite au premier confinement ; presque toute la distribution d’origine a pu bloquer les dates de la nouvelle série et semble prometteuse. Quant à la mise en scène, elle a été confiée à Pierre Emmanuel Rousseau qui se charge également des décors et des costumes.



C’est Pierre Emmanuel Rousseau qui est en charge de la mise en scène, des décors et des costumes de cette clémence de Titus nantaise. S’il y a de bonnes idées, trop peu, malheureusement, la direction d’acteurs est remarquable de bout en bout ; les dons de comédien de chacun est utilisé au maximum même si la scène de « séduction » entre Vitélia et Sextus est franchement exagérée. On peut regretter par contre une transposition pas très heureuse dans les années 1920, des costumes inadaptés (à commencer par l’ample robe de chambre de Vitelia au tout début de l’opéra) et une bonne partie des accessoires hors sujet (le pistolet avec lequel Publius tue Titus à la fin de la soirée par exemple). D’autant qu’il n’est écrit nul part dans le livret de Mazzolà que Publius tue Titus tout juste monté sur le trône impérial. En revanche, le décors des ruines de Rome après la révolte de Lentulus, les corps des victimes et les décombres de part et d’autre du plateau au second acte est une excellente idée et nous aurions apprécié que Rousseau suive cette voie sur toute la durée de la représentation. Appréciable également l’utilisation de figurants pour incarner quatre membres de la garde prétorienne.



Vocalement, les responsables de l’Opéra de Nantes-Angers ont invité une distribution de très belle tenue dans l’ensemble. Le ténor anglais Jeremy Ovenden est doté d’une très belle voix de ténor ; les trois arias « Del piu sublime soglio » , « Ah ! Se fosse intorno al trono » et « Se all’impero, amici dei » de l’empereur sont parfaitement interprétés. La tessiture est idéale pour un rôle aussi meurtrier ; des graves aux aigus la voix est étincelante et claque dans cette belle salle à l’italienne avec insolence. Nous regrettons cependant que Titus soit représenté sous les traits d’un dictateur ; il semble que Rousseau ait oublié que le véritable Titus a radicalement changé dès le moment ou il a accédé au trône. En revanche Roberta Mameli est une Vitelia peu convaincante ; ne nous y trompons pas, la voix est très belle, la tessiture est large, couvrant parfaitement celle du rôle de Vitelia, les aigus sont insolents, le médium idéal, les graves charnus passent la rampe sans efforts. Il semble cependant que la soprano italienne ait été dans un jour de méforme tant le premier acte était laborieux le duo avec Sextus était émaillé de fausses notes, le premier aria de Vitelia savonné et pas toujours très juste. Quel dommage que ce premier acte soit si médiocre alors que le grand air du second acte « Ecco il punto, Ô Vitelia … Non piu d fiori vaghe catene … » est de toute beauté. Scéniquement par contre, Pierre Emmanuel Rousseau fait fausse route sur toute la ligne. Soit, Vitelia est dévorée d’ambition et se conduit comme une garce pour arriver à ses fins ; mais était il nécessaire d’en faire une jeune femme vulgaire et provocatrice qui, prise de remords en voyant Sextus à deux doigts de la mort après avoir mené la rébellion, sombre dans la folie alors qu’elle est sur le point d’épouser Titus, ce qu’elle désirait par dessus tout ? Vitelia est une femme à poigne, fille et petite fille d’empereurs ; elle le sait, elle en est fière, à juste titre. Elle le fait sentir à Sextus et se sert de lui, elle se sert surtout de l’amour fou qu’il lui porte pour le pousser à bout pour qu’il trahisse son ami et qu’il se rebelle. Julie Robart-Gendre remplace Josè Lo Maria Monaco initialement invitée pour incarner Sextus. La jeune mezzo-soprano française se sort à merveille des pièges terribles de la partition ; dès le duo avec Vitelia elle s’impose comme un très beau Sextus. Les deux arias qui lui sont dévolus « Parto, ma tu ben mio … » et « Deh, per questo instante solo » sont interprétés avec un talent rare par Julie Robart-Gendre qui laisse s’exprimer un mezzo ample, avec un médium parfait, des aigus insolents et des graves parfaitement audibles. Olivia Doray, campe une Servilia de très belle tenue ; Le rôle est n’est pas très long mais il marque car la jeune fille ose tenir tête à Titus puis à Vitelia. Le duo « Ah, perdona al primo affeto » avec Anius est fort bien interprété et même si dans le quintette « Deh, conservate ô dei » on l’entend assez peu, elle n’en est pas moins bien présente et « assommée » par les évènements et l’incendie qui ravage Rome ; son unique aria « S’altro che lacrime, non tenti per lui » est interprété tout en délicatesse par une voix saine et solide. C’est Abigaïl Levis qui prête ses traits à Anius, le fidèle ami de Sextus, et son futur beau frère puisqu’il est fiancé à Servilia. Là encore, nous apprécions une voix saine, solide, à la tessiture large et adéquate au rôle ; le duo avec Servilia puis les arias d’Anius « Torna di Tito a lato » et « Tu fosti tradito », tous deux interprétés au second acte du chef d’œuvre de Mozart le sont avec talent par une Abigaïl Levis en grande forme. Rôle le plus court de cette Clémence de Titus, Publius est pourtant souvent sur scène ; c’est Christophoros Stamboglis qui incarne le fidèle capitaine de la garde prétorienne de l’empereur. Il veille à la sécurité de son maître même s’il ne peut empêcher la révolte menée par Sextus et Lentulus (dont on parle beaucoup mais qu’on ne voit jamais). S’il n’a quasiment que des récitatifs et qu’il chante dans le quintette, Publius n’a qu’un seul récitatif accompagné presque toujours coupé ; ce récitatif accompagné, intégré en ce beau dimanche de décembre, nous permet de profiter de la belle voix de baryton de Stamboglis. C’est le chœur de l'Opéra d'Angers-Nantes qui interprète la partition dévolue au chœur. Parfaitement préparé par son chef Xavier Ribes l’ensemble complète avec bonheur un distribution talentueuse malgré le masque que les choristes étaient seuls, avec les figurants, à porter.


Dans la fosse, c’est l’Orchestre National des Pays de la Loire qui accompagne solistes et chœur. Parfaitement préparé, l’orchestre est dirigé avec talent par Nicolas Krüger, les nuances sont quasi parfaites et même si certains tempos sont parfois un peu lents, notamment dans le rondo de Vitelia au second acte, ils sont globalement idéaux. Attentif à ses chanteurs, Krüger veille à ne jamais les couvrir et à mettre les voix en valeur au maximum.


Nous avons assisté à une très belle représentation de La clemenza di Tito en ce dimanche après midi. L’Opéra de Nantes Angers a frappé un grand coup en invitant une très belle distribution, malgré la grosse méforme de Roberta Mameli (Vitelia) et une mise en scène qui aurait mérité d’être plus fouillée, moins provocatrice par moments (notamment la première scène entre Sextus et Vitelia) et des costumes peu adaptés (à commencer par ceux de Titus et de Publius).


Compte rendu, opéra. Nantes. Théâtre Gras lin, le 12 décembre 2021. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : La clemenza di Tito, opéra en deux actes sur un livret de Caterino Mazzolà d’après Métastase et La vie des douze césars de Suétone. Jeremy Ovenden, Tito Vespasiano ; Roberta Mameli, Vitelia ; Julie Robard-Gendre, Sesto ; Olivia Doray, Servilia ; Abigaïl Levis, Annio ; Christophoros Stamboglis, Publio ;Roméo Lasne, Hugo Bindel, Julien Bizart, Benjamin Thomas, figurants. Chœur d’Angers Nantes Opéra ; Choeur de chambre Melismes ; Orchestre National des Pays de la Loire. Nicolas Krüger, direction. Pierre Emmanuel Rousseau, mise en scène, décors, costumes ; Gilles Gentner, lumières.


Crédit photos : Jean Marie Jagu

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