Le théâtre de l’usine sert de refuge aux amours d’Angelina et de Don Ramiro : La cenerentola enfin présentée au festival de Saint Céré



En novembre dernier, nous annoncions une tournée de la compagnie Opéra Éclaté qui devait présenter, un peu partout en France, sa nouvelle production opératique : La cenerentola. A cause de la crise sanitaire, la tournée n’a pu avoir lieu ; c’est donc au festival de Saint Céré que cette production a pu être créée. Après une soirée poignante à la halle des sports autour du tandem vériste Cavalleria / Pagliacci dont nous avons parlé dans nos colonnes, nous arrivons au théâtre de l’usine pour une représentation de l’opéra bouffe La cenerentola de Gioachino Rossini (1792-1868). Cette production, repoussée d’une année à cause de la crise sanitaire a enfin pu être créée au festival de Saint Céré. C’est avec la distribution réunie pour l’édition 2020 du festival que La cenerentola a été présentée au public venu nombreux au théâtre de l’usine en ce dimanche soir d’été. C’est à Clément Poirée que la mise en scène de cette nouvelle production a été confiée ; il a mené avec son équipe et la distribution un beau travail de réflexion qui aurait néanmoins mérité d’être poussé un peu plus loin.



L’action de la cenerentola n’est plus placée dans un palais en ruine mais dans un théâtre décrépit. Cependant le décor reste sobre et les costumes sont assez classiques ; mais si Clément Poirée a de bonnes idées, elles sont pour la plupart inabouties. Ainsi mettre les artistes dans la fosse d’orchestre, plus proches du public, pourquoi pas ; mais dans le même temps, il aurait fallu déplacer l’orchestre de quelques mètres sur le côté ou à l’arrière car du coup, tout le monde se gêne mutuellement. Mais dans l’ensemble la réflexion autour du chef d’œuvre de Rossini est plutôt bien menée. Le seul gros reproche que nous pourrions faire à Clément Poirée sont les dialogues en français écrits de sa main pour remplacer les récitatifs ; là encore si l’intention est louable, car il a pensé à ceux qui ne comprennent pas l’italien, La cenerentola n’est pas une œuvre ou l’on peut se permettre de supprimer les récitatifs pour les remplacer ainsi. Le rythme est cassé et le brin de folie qui habite les personnages est en partie perdu.



Vocalement, le plateau réuni est cohérent et très soudé. La distribution est cependant largement dominée par Franck Leguérinel. Cet ancien chef de chant devenu artiste lyrique campe un Don Magnifico mordant et méchant à souhait ; la voix insolente de santé est parfaitement maîtrisée, les nuances et les tempos sont parfaits. Dès « Miei rampolli feminini … Via silenzio ed attenzione » Leguérinel donne le ton de la soirée ; elle sera aussi folle et débridée que l’a voulu Rossini. Lamia Beuque est une Angelina convaincante ; la voix ample, parfaitement maîtrisée, médium idéal, graves et aigus insolents résonne dans toute la salle claquant tel un fouet. Si la charmante petite mélodie « C’era una volta un rè … » est interprétée avec simplicité, l’aria du finale du 1er acte « Sprezzo quei don che versa fortuna capriciosa » donne à Angelina, méconnaissable, une assurance que n’a pas cenerentola ; Le sommet étant le rondo final « Non piu mesta all’affano » que Lamia Beuque interprète avec assurance même si nous nous serions volontiers passé de ce rock ridicule qui l’accompagne pendant quelques mesures. Camille Tresmontant incarne un beau Don Ramiro ; déguisé en machiniste (rappelons que nous sommes dans un théâtre en ruine et non dans un palais sur le point de s’effondrer) il ne manque pas d’humour et d’une vis comica indispensable quand on s’attaque à Rossini. Si le jeune homme déroule la partition avec bonheur, il montre ses limites dans l’ultime aria de Ramiro « Si, ritrovarla io giuro » dont les aigus sont plus criés que chantés ; c’est d’autant plus dommage que les duos avec Angelina « un soave non so che … » et avec Dandini « Zitto, zitto, piano, piano » sont interprétés avec une belle assurance. Philippe Estèphe est un Dandini comique tel que l’a souhaité Rossini ; le jeune homme profite au maximum de l’échange d’identité suggéré par Alidoro, le précepteur du prince. Dès l’air d’entrée « Come un apé i giorni d’aprile » Estèphe met le public au parfum : il mène le jeu et il en sera le maître jusqu’au dénouement final. Mais si le duo avec Ramiro (« Zitto, zitto, piano, piano ») déclenche un sourire général, celui avec Don Magnifico (« Un segreto d’importanza … ») est totalement hilarant ; Franck Leguérinel et Philippe Estèphe prennent un malin plaisir à s’insulter en musique. Le sage Alidoro prend les traits de Matthieu Toulouse ; le baryton toulousain chante l’unique aria « La del ciel nell’arcano profondo … » du philosophe avec une belle autorité et fait honneur à Rossini. Morgane Bertrand (Clorinda) et Inès Berlet (Tisbe) complètent avec bonheur une distribution sur-motivée. Le chœur d’hommes Opéra Éclaté, est réduit à sa plus simple expression et chante à 3 par pupitres ; la performance est tout à fait honorable et les six hommes donnent de très belles choses à entendre. La scène de la cave, ou Don Magnifica se rend se rend avec la suite du prince suite au défi de Dandini, est particulièrement hilarante et les six choristes jouent le jeu à fond et en rajoutent avec un plaisir évident. L’Orchestre Opéra Éclaté, dirigé par Gaspard Brécourt, joue la musique de Rossini avec un plaisir gourmand et, intégré à la mise en scène, s’amuse beaucoup en jouant aussi la comédie.



C’est une très belle soirée à laquelle nous avons assisté, même si certaines des idées de Clément Poirée auraient pu être poussées un peu plus loin , ne fusse que pour emmener le public dans un univers de folie douce tel que l’avaient conçu Rossini et son librettiste. Et on ne peut que saluer une distribution jeune et très en forme et un chœur avec seulement six choristes, dirigés par un Gaspard Brécourt sur-rmotivé. 

Compte rendu, opéra. Saint Céré. Théâtre de l’usine, le 8 août 2021. Gioachino Rossini (1792-1868) : La cenerentola, opéra en deux actes sur un livret de Jaccopo Peretti , tiré du conte Cendrillon de Charles Perrault (1628-1703). Franck Leguérinel, Don Magnifico, baron de Montefiascone ; Lamia Beuque, Angélina (surnommée Cenerentola) ; Camille Tresmontant, Don Ramiro, prince de Salerno ; Philppe Estèphe, Dandini (valet de Don Ramiro) ; Matthieu Toulouse, Alidoro (philosophe et précepteur de Don Ramiro) Morgane Bertrand, Clorinda (fille de Don Magnifico) ; Inès Berlet, Tisbe (fille de Don Magnifico). Orchestre et choeur Opéra Eclaté ; Gaspard Brécourt, direction. Clément Poirée, mise en scène ; Pauline Labib-Lamour, assistante à la mise en scène ; Hanna Sjödin, costumes ; Camille Lamy, assistante costumière ; Erwann Creff, scénographie ; Carlos Perez, lumières ; Margaux Eskenazi, collaboration artistique.


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