Quand le festival Olivier Messiaen délocalise : Thomas Lacôte donne un récital d'orgue en l'église Notre Dame des Neiges de l'Alpe d'Huez


Passant d'une vallée à l'autre, nous quittons les Alpes du sud et la Provence pour aller dans la vallée de l'Oisans ou nous arrivons en l'église Notre Dame des neiges située à l'entrée de l'Alpe d'Huez pour le récital d'orgue prévu au programme des concerts de l'après midi. Si la station alpine est connue depuis longtemps pour être ville d'arrivée du tour de France, ce n'est pas son seul atout. En effet l'Alpe d'Huez accueille un festival de cinéma réputé (la manifestation est dédiée à la comédie) qui se déroule fin janvier depuis 1997. Station aussi active en été qu'en hiver, l'Alpe d'Huez accueille également d'autres épreuves sportives que le tour de France (trails, triathlons, courses cyclistes diverses …), ainsi que des activités culturelles nombreuses et variées à faire seul ou en famille (expositions, concerts divers, spectacles familiaux …). Pour la première fois depuis 1998 le Festival Olivier Messiaen change de vallée et délocalise un de ses concerts ; c'est ainsi que la station accueille en l'église Notre Dame des neiges un récital d'orgue donné par le jeune organiste et compositeur Thomas Lacôte élève de Michaël Levinas qui est, rappelons le, l'invité d'honneur de l'édition 2019 du festival.

Si le vaste répertoire d'orgue couvre plus de quatre cent ans d'histoire de la musique, l'orgue contemporain n'a rien à envier aux grands compositeurs du passé. Soucieux de proposer un programme varié, Thomas Lacôte, débute son récital avec des œuvres de trois grands compositeurs de la période baroque ; c'est aussi l'occasion de sortir de nos frontières du nord au sud de l'Europe. Avec la Toccata sesta sopra i pedali tirée du second livre de Toccatas de Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Thomas Lacôte nous fait (re)découvrir un compositeur dont l'œuvre, considérable, est fort bien écrite, complexe malgré les apparences et couvre tous les genres existants alors. Le jeune homme joue l'orgue avec talent et utilise la pédale sans excès ni fioriture ; la toccata de Frescobaldi résonne dans l'église avec une douceur rafraîchissante. La fantaisie sur la tierce du grand clavier avec le tremblant lent de Louis Couperin (1626-1661) nous fait entrer dans un autre univers ; le chef d'œuvre de Couperin nécessite aussi une plus grande concentration tant l'organiste est sollicité par une œuvre ou fourmillent les difficultés de tous poils à commencer par des changements multiples de jeux. Thomas Lacôte, interprète cette fantaisie avec sobriété, sans tomber dans les pièges tendus par Couperin. Si les œuvres de Frescobaldi et de Couperin sont pleines de vie malgré leur complexité, celles de Jean Sébastien Bach (1685-1750) sont plus intimistes et très marquées par la religion. Ainsi avec Das alte jahr vergangen ist BWV 614 (extrait de l'Orgelbüchlein) et fantasia super komm heiliger geist BWV 651 (extrait des 18 chorals de Leipzig) Thomas Lacôte a-t-il souhaité amener son public à la méditation en lui proposant deux préludes qu'il interprète sans fioritures. L'orgue de Notre Dame des neiges résonne sous les voûtes de l'église tel une fervente prière vers Dieu.

Après une très courte pause, Thomas Lacôte entame la partie contemporaine de son programme. Invité d'honneur du festival, Michaël Levinas (né en 1949) n'a composé qu'une seule pièce pour orgue. Accords tremblés a été créé en 2008 par Thierry Escaich et n'avait pas été rejoué depuis ; c'est donc une recréation à laquelle nous avons assisté en ce chaud mercredi après midi. Thomas Lacôte se confronte à l’œuvre de son maître (rappelons qu'il fut l'élève de Michaël Levinas au conservatoire de Paris) avec brio; l'unique chef d’œuvre pour orgue de Levinas est rempli de pièges que Lacôte surmonte avec talent ; le jeune homme utilise la pédale de son instrument du jour avec une parfaite maîtrise. Il reprend à son compte une œuvre de commande qu'il avait composé en 2004, alors qu'il était encore étudiant au conservatoire de Paris (CNSMD). Si accords tremblés nous a paru complexe et piégeux, agencement-Rhizome est tout aussi ardu et nous permet aussi de découvrir le talent de compositeur de Lacôte qui semble défier les grands maîtres qui l'ont précédé. Le programme bien fourni s'achève avec des extraits de deux «livres» composés par Olivier Messiaen (1908-1992) ; l'un est consacré au temps de la Nativité de Notre Seigneur, l'autre au Sain Sacrement. Le Livre du Saint Sacrement ayant été composé dans les dernières années d'Olivier Messiaen.

Thomas Lacôte nous a proposé un récital d'orgue de très haute volée avec un programme varié et couvrant une vaste période de l'histoire de la musique. Ce très beau programme nous a aussi permis de voir l'infinie variété des jeux que peut contenir un orgue, fabriqué par un luthier de talent. On peut regretter que l'église Notre Dame des neiges de l'Alpe d'Huez n'ait pas été mieux remplie au vu de l'exceptionnelle qualité du récital proposé et du talent de Thomas Lacôte qui n'a rien à envier ni à ses maîtres, ni aux grands organistes du passé.

Compte rendu concert. L'Alpe d'Huez. Église Notre Dame des neiges, le 31 juillet 2019. Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : Toccata sesta sopra i pedali (extrait du second livre de toccatas) ; Louis Couperin (1626-1661) : Fantaisie sur la tierce du grand clavier avec le tremblant lent DL 58 ; Jean Sébastien Bach (1685-1750) : Das alte jahr vergangen ist BWV 614 (extrait de l'Orgelbüchlein), fantasia super komm heiliger geist BWV 651 (extrait des 18 chorals de Leipzig) ; Michaël Levinas (né en 1949) : accords tremblés ; Thomas Lacôte (né en 1982) : agencement-Rhizome ; Olivier Messiaen (1908-1992) : extraits de la nativité du Seigneur (N°2 : les bergers, N°4 : le verbe) ; extraits du livre du Saint Sacrement (N°3 : le Dieu caché ; N°10 : La résurrection du Christ). Thomas Lacôte, orgue.



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