Le festival de Saint Céré présente une Vie parisienne déjantée au Théâtre de l'Usine
Recréé
en 1980 par Olivier Desbordes qui en est toujours le directeur, le
festival de Saint Céré est devenu une manifestation incontournable
du paysage musical lotois. L'édition 2019 du festival a été riche
en événements, car, outre Les pêcheurs de perles opéra composé
et créé en 1863 par Georges Bizet (1837-1875), le public a aussi eu
l'occasion de voir et d'écouter La vie parisienne de Jacques
Offenbach (1819-1880) et Maria de Buenos Aires l'opéra tango du
compositeur argentin Astor Piazzolla (1921-1992), production dont,
nous parlerons par ailleurs. Pour cette série de représentations,
Olivier desbordes et Benjamin Moreau ont fait appel à des comédiens
chanteurs ou plutôt, devrions nous dire, à des chanteurs acteurs ;
ces deux qualités étant indispensables pour donner tout son sens et
sa force à la mise en scène des deux hommes. Pour la musique, elle
a été arrangée pour un orchestre réduit et piano ; pour autant,
elle intègre parfaitement la folie de la période choisie pour la
transposition et ajoute encore un petit grain de folie à une action
déjà totalement hilarante.
La
production de La vie parisienne qui nous est présentée a été
créée en février 2019, au Théâtre de l'usine, le site même ou
nous avons pris place pour la dernière représentation de la série
en cours en ce chaud lundi d'été. Créée en 1866, La vie
parisienne a été plusieurs fois remise sur le métier par Jacques
Offenbach jusqu'en 1873 ; il existe donc plusieurs versions du
célèbre opéra bouffe. Toujours très inspirés, Olivier Desbordes
et Benjamin Moreau, les deux metteurs en scène de cette très belle
production, ont situé l'action en 1966, soit une centaine d'années
après la première création de La vie parisienne. En cent ans, les
avancées technologiques se sont succédé à une vitesse
démentielle, permettant l'arrivée progressive, dans les foyers
français, d'appareils divers comme le téléphone ou la télévision.
Or dans les années 1960 l'activité culturelle était intense et
grâce, entre autres médias, à la télévision, commençait à se
démocratiser, permettant ainsi aux plus modestes d'accéder à des
activités inaccessibles autrement. Comment ne pas voir là, un pied
de nez au vide culturel qui a tendance à s'intensifier de nos jours,
d'où la volonté de filmer la représentation comme un véritable
direct, expliquant ainsi la présence d'une caméra et de deux écrans
de télévision à gauche et au centre du plateau (un troisième
écran aurait d'ailleurs été bienvenu sur le côté droit du
plateau). Nous apprécions aussi les clins d'oeil aux vedettes
naissantes de l'époque (Claude François, Mireille Mathieu, Nana
Mouskouri, France Gall …) et aux comédies incarnées par Louis de
Funès comme les « Gendarme de saint Tropez » ou « Les aventures
de Rabbi Jacob ». Comme de bien entendu, les costumes sont aussi
déjantés que la mise en scène, et David Bélugou, qui est aussi en
charge des décors, a créé des costumes et des perruques
improbables qui vont bien aux personnages, même si on peut regretter
que certaines robes soient parfois un peu trop moulantes. Côté
décors, Bélugou utilise des mobiles qui changent de destination
selon les situations et nous apprécions aussi de voir les artistes
changer de costume au gré des lieux, situation, gags ... Et le temps
passe vite dans la salle ; il passe même parfois trop vite.
Sur
la scène on voit une troupe visiblement très liée et déchaînée
; elle est même tellement survoltée, cette troupe, qu'il est
parfois difficile de garder son sérieux face à l'avalanche de gags
que chacun rajoute selon ses envies. Le tandem Bobinet/Gardefeu est
incarné par les excellents Steeve Brudet et Hoël Troadec
; les deux hommes se montrent filous et retors à souhait dans leur
jeu de scène tendant toutes sortes de pièges dans lesquels le
malheureux baron suédois tombe systématiquement. Les voix ne sont
certes pas des voix d'opéra, mais sont solides, saines et passent
bien la rampe. Avec la Metella de Diana Higbee, on dispose
d'une fine mouche « à qui on ne la fait pas » . Si Gardefeu est un
roublard, coureur de jupons prêt à tout pour obtenir ce qu'il veut,
Metella est tout aussi déterminée à lui mettre des bâtons dans
les jambes pour contrecarrer les plans du bellâtre, quitte à
enrôler la baronne pour porter l'estocade. Nous apprécions la belle
voix d'opéra de Diana Higbee qui marque de son empreinte un rôle de
demi mondaine pas si évident que cela, malgré les apparences.
Christophe Lacassagne, le « vétéran », campe un baron
certes naïf mais quand même pas totalement idiot. Même s'il tombe
dans les pièges qui lui sont tendus, il se rend bien compte que
quelque chose ne tourne pas rond sans pouvoir expliquer quoi.
Christophe Lacassagne domine de la tête et des épaules et entraîne
dans son sillage un cast jeune, dynamique, fougueux. Anandha
Seethanen, devenue une habituée du festival a déjà chanté
dans plusieurs productions dont la plus notable est L'opéra de
quat'sous de Kurt Weill avec la grande Nicole Croisille. Dans La vie
parisienne, elle campe une baronne de très belle tenue et, là
aussi, on apprécie une performance sans faiblesse ; d'autant qu'elle
endosse d'autres courts rôles qui lui permettent de développer son
don de comédienne. Dans les rôles secondaires, saluons l'excellente
performance de Lionel Muzin, bottier et majordome inénarrable
; Flore Boixel n'est pas en reste et son rôle d'attachée de
presse de l'émission « Vie parisienne », fait souffler un vent de
fraîcheur tant sur le plateau que dans la salle. Installé sur une
estrade surélevée, l'orchestre Opéra Eclaté est dirigé depuis le
piano par un Gaspard Brécourt très en forme. Les musiciens
accompagnent les chanteurs avec talent ; la musique, pour arrangée
qu'elle soit, ne trahit pas l'intention d'Offenbach qui n'aurait pas
désavoué le gros grain de folie qui a balayé le théâtre de
l'usine en cette chaude soirée d'été.
Si
Offenbach a remis son chef d’œuvre sur le métier à plusieurs
reprises entre 1866 et 1873, il a laissé à la postérité un
portrait au vitriol de ses contemporains. Portrait pourtant toujours
d'actualité, bien que la société ait évolué avec les avancées
technologiques qui l'ont accompagnée depuis la première création
de l'opéra bouffe en 1866. La distribution réunie pour l'occasion,
s'est montré fort à son avantage, surmotivée qu'elle a été par
une mise en scène totalement hilarante.
Compte
rendu, opéra. Saint Céré. Théâtre de l'usine, le 12 août 2019.
Jacques Offenbach (1819-1880) : La vie parisienne (1866-1873). Steeve
Brudet, Bobinet ; Hoël Troadec, Gardefeu ; Diana
Higbee, Metella, Christophe Lacassagne, le baron, Anandha
Seethanen, la baronne; Morgane Bertrand, Gabrielle ; Flore
Boixel, Léonie, Louise, Clara ; Thierry Jennaud, le
brésilien ; Lionel Muzin, le bottier ; Lucile Verbizier,
Pauline. Olivier Desbordes et Benjamin Moreau, mise en
scène ; Francois Michels, orchestration et trombonne ; Fanny
Aguado, chorégraphie ; David Bélugou, décors et
costumes ; Patrice Gouron, lumières. Orchestre Opéra Eclaté.
Gaspard Brécourt, direction.
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