L'ensemble Doulce Mémoire ouvre le festival de Chambord avec un programme florentin remarquable
En
cette année si particulière pour le château de Chambord, le
festival créé par Vanessa Wagner en 2011, se pare de ses plus beaux
atours. En effet, c'est en 1519, après son retour d'Italie, que
François Ier, le jeune et fougueux roi de France, pose la première
pierre de son château fétiche, dans lequel, pourtant, il passera
si peu de temps. Arrivé peu de temps auparavant avec le jeune
souverain, Léonard de Vinci, est réputé avoir établi les plans du
château et, notamment ceux du célébrissime escalier à double vis
qui a fait, depuis, la réputation du domaine royal. Pour le concert
d'ouverture de cette manifestation, désormais ancrée dans le
paysage musical, les responsables du festival ont invité l'ensemble
Doulce Mémoire. Cet ensemble, fondé il y a tout juste trente ans
par Denis Raisin Dagre, a préparé un programme autour du carnaval
de Florence, dont Laurent le magnifique fut, en son temps, un
généreux mécène. Ce concert spécial à plus d'un titre était
l'occasion de créer un programme joyeux et plein d'entrain.
Le
programme alterne judicieusement musique instrumentale et musique
vocale. Les musiciens et les chanteurs, visiblement très gais et
survoltés s'amusent beaucoup en interprétant les pièces qu'ils ont
choisies pour monter ce nouveau programme ; et comme le dit si bien
Denis Raisin Dagre : «Il nous reste peu de partitions de cette
période, car le moine Savonarole ne s'est pas contenté de s'en
prendre aux livres ou aux tableaux. Il a aussi fait brûler un nombre
considérable de partitions. La « révolution piétiste » a fait
beaucoup de mal à la vie culturelle florentine.» Le mécénat de
Laurent le magnifique, qui créa aussi le «festival de mai», a
permis aux arts en général et à la musique en particulier de se
développer sans tabou. D'ailleurs, les titres de certaines pièces
sont très éloquents ; «Palle, Palle» rend hommage aux
Médicis la famille mécène du festival de mai et de la vie
culturelle florentine. S'agissant d'une pièce instrumentale, les
musiciens s'avancent sur le devant de la scène ; Denis Raisin Dagre,
installé au milieu des autres instrumentistes donne les départs
d'un signe discret. L'interprétation est dynamique et sans temps
morts ; Avec «Era di maggio»,
le quatuor de chanteurs (un contre ténor, un ténor, un baryton, une
basse) invité pour l'occasion, «entre dans la danse».
L'accompagnement est simple mais efficace : une viole de gambe et une
«lira da braccio», qui est un dérivé de la vièle ; les quatre
chanteurs, dont les voix s'entrecroisent, se mêlent, lancent à tour
de rôle les thème, s'approprient la mélodie avec aplomb et nous
apprécions d'écouter des voix saines, solides, passant la rampe
sans efforts.
Nous
fêtons aussi, en cette année 2019, les cinq cent ans de la
disparition de Léonard de Vinci que nous connaissons comme un «noble
vieillard». Mais à Florence, c'est le jeune Léonard qui fut au
service des Médicis ; polyvalent et touche à tout de génie,
Léonard, fut peintre, sculpteur, inventeur, architecte, musicien …
A Florence, il connut la joyeuse période des carnavals que les
Médicis encourageaient et finançaient largement jusqu'à la
révolution piétiste du moine Savonarole. Les guildes, les
différents corps de métiers, dont certains ont disparu depuis
longtemps, défilaient au son de musiques et des chansons moqueuses,
comme celles sur les lansquenets suisses, et parfois «absolument et
totalement obscènes». Si les trois chansons des lansquenets (chant
des lansquenets joueurs de rebec ; chant des lansquenets joyeux ;
chant des lansquenets aventuriers) sont très charmantes et
effectivement remplies de traits d'esprit moqueurs, c'est la chanson
«Jeune paysanne que sais tu faire ?» qui permet aux quatre
chanteurs de s'amuser et de jouer la comédie avec un humour décapant
; ainsi le contre ténor Bruno Le Levreur campe avec brio et
gourmandise la jeune paysanne de la chanson. Avec le chant des
lansquenets joueurs de rebec nous avons l'occasion de découvrir
le rebec, un petit instrument qui est une forme de vièle et dont
l'introduction en Europe par les maures date probablement du XIIe
siècle. L'accompagnement de cette chanson est d'autant plus
agréable, qu'outre le rebec, nous écoutons un luth dont Pascale
Boquet est une excellente interprète.
Au
retour de l'entracte, l'ambiance change radicalement et devient plus
sombre. En effet, les pièces présentées, les rares qui ont été
retrouvées, datent de la révolution piétiste instaurée par le
moine Savonarole. Si cette période, si sévère au demeurant, n'a
duré que quatre ans, elle n'en a pas moins fait des dégâts
considérables dans tous les domaines de la vie quotidienne et
culturelle. Cette seconde partie, que nous appellerons la « partie
piétiste » débute par une pieuse et sombre chanson « Dolor,
pianto e penitenza» dont nous apprécions la belle et sobre
interprétation par Mattieu Le Levreur. Visiblement très inspiré
par son nouveau programme Denis Raisin Dagre, qui a pris la parole à
plusieurs reprises pour présenter une pièce, un instrument, donner
des détails sur les Médicis ou Léonard, nous apprend que pour
contourner Savonarole les musiciens changeaient les paroles,
provocantes, parfois, obscènes, souvent de certaines chansons par de
pieux versets. C'est le cas de Jesu Jesu, qui à l'origine
était Visin, visin la chanson des ramoneurs de cheminée dont
le texte originel était plutôt graveleux.
Les
responsables du château de Chambord et du festival ont proposé une
soirée de très haute volée en ce chaud vendredi d'été.
L'ensemble Doulce Mémoire visiblement survolté et très inspiré
par un programme qu'il a élaboré avec soin, malgré le manque de
matériel du fait de la révolution piétiste, et créé à
l'occasion de ce concert d'ouverture que le public a chaleureusement
accueilli. Nous avons également apprécié la présentation de Denis
Raisin Dagre qui a entraîné son public dans la Florence de la fin
du XVe siècle. La fière cité italienne dont la vie culturelle, en
cette riche et diverse période de la renaissance a su faire oublier
la révolution piétiste de Savonarole qui, au final, paya ses excès
de sa vie.
Compte
rendu, concert. Château de Chambord. Cour du château, le 28 juin
2019. Pièces instrumentales
: Palle, palle (blason de la
famille Médicis) ; Gaillarde, Erba fresca ; Gaillarde, la traditora
; Ballo petit rien (Le calendimaggio – le carnaval de
mai) ; Ah partiale ; Gagliarda
la rocha del fuso ; ballo tentalora ; ballo amoroso ; Alle stamegne
(le carnaval florentin au temps de Leonardo da Vinci) ;
Adieu Florens la jolie ; Pavane ; Pavane la monina ; Saltarello zorzi
(Carnavale con crocifisso – carnaval avec un crucifix).
Pièces vocales :
Era di maggio ; Lo mio padre e la mia madre ; In questo ballo c'e una
fanciulla (Le calendimaggio – le carnaval de mai) ;
chant des chasseurs ; chant des vendurs de pain ; chant des
lansquenets joueurs de rebec ; chant des lansquenets joyeux ; chant
des lansquenets aventuriers ; jeune paysanne que sais tu faire ? ;
chant du capitan ridicule – scamarella ; Alle stamegne (Le
caranaval florentin au temps de Leonardo Da Vinci) ;
Dolor, pianto e penitenza ; O Maria, Diana Stella ; chant des
lansquenets en pélerinage ; Alma svegliate hormaï ; chant des
galériens ; Jesu, Jesu ; Visin, visin (chant des ramoneurs de
cheminée) (carnavale con crocifisso – carnaval avec un
crucifix) . Bis
: La vita di palin. Bruno Le Levreur, contre ténor ; Hugo Primard,
ténor ; Mattieu Le Levreur, baryton ; Marc busnel, basse. Ensemble
Doulce Mémoire ; Denis Raisin Dagre, direction.
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