Musiques anciennes entre Orient et Occident : Jordi Savall revient au Théâtre Auditorium de Poitiers


Sept ans après son dernier passage à Poitiers, Jordi Savall revient avec Hesperion XXI avec un programme entre Orient et Occident. Si en 2012 nous n'avions pas vu Montserrat Figueras disparue quelques mois plus tôt, nous avons, cette année, le plaisir de voir, ou de revoir, la chanteuse syrienne Waed Bouhassoun invitée par Jordi Savall pour ce programme en particulier. Programme que le mélomane averti ou néophyte retrouvera au festival de Chambord en juillet prochain. Pour l'occasion Jordi Savall a programmé des musiques de Syrie mais aussi du bassin méditerranéen.

Le concert commence dans un silence total et si on peut avoir l'impression que l'ambiance est froide, ce n'est pas le cas.En effet Hespérion XXI alterne savamment pièces lentes et danses ; la chaîne étant parfois interrompue par des mélodies, notamment d'Alphonse X le sage, chantées avec talent par Waed Bouhassoun et l'excellent flûtiste syrien Moslem Rahal qui alternaient. Si on peut être surpris par la diversité des instruments, elle s'avère nécessaire car elle permet de passer d'un style à l'autre et d'un pays à l'autre avec une fluidité presque surnaturelle. La richesse inépuisable de la musique ancienne, tant en Europe qu'en Orient permet à Jordi Savall de proposer un programme très fort et riche en émotions. D'autant qu'il mélange des pièces issues des trois religions du livre comme par exemple «La rosa enflorece» (pièce traditionnelle juive séfarade), «Saltarello» (composée par Alphonse X le sage, roi chrétien de Castille) ou «Billadi askara min abdi llama» (chanson arabe et donc d'origine musulmane). Sur le plateau, sobrement tendu de noir et aménagé fort simplement, Jordi Savall donne les départs d'un signe discret ; la complicité entre les cinq artistes fait le reste tant ils sont attentifs les uns aux autres. La musique est si prenante que le public, venu nombreux, se laisse surprendre par la fin du concert tout en réservant un accueil fort chaleureux à Hespérion XXI ; Jordi Savall, prend le temps de présenter chaque musicien et les instruments qu'il joue. Si l'oud et la vielle sont les deux plus connus, et Jordi Savall ne s'y attarde pas, l'attention se porte sur Moslem Rahal. En effet le flûtiste syrien a longtemps risqué sa vie en allant jouer en Europe ; obligé de cacher ses précieux instruments à chaque voyage, Rahal a réussi à s'échapper de Syrie grâce aux musiciens d'Hespérion XXI et vit désormais en Espagne ou il a recommencé à jouer et à fabriquer des flûtes. Jordi Savall s'attarde ensuite sur les percussions de pedro Esteban dont certaines remontent à la pré-histoire et sur le santur de Dimitri Psonis qui remonte lui aussi très loin dans le temps puisque l'instrument équipé de soixante-dix cordes existait déjà à l'époque des pharaons. Nous avons apprécié la présentation claire et simple de Jordi Savall qui se révèle être un excellent pédagogue.

Hespérion XXI a donné un concert de très haute volée en ce mardi soir ; concert que le public poitevin a si chaleureusement accueilli que Jordi Savall et ses amis, ainsi qu'il les nomme ont concédé deux bis avant de quitter la scène. Ce second passage d'Hespérion au Théâtre Auditorium de Poitiers a tenu toutes ses promesses même si nous aurions aimé voir le concert durer plus longtemps.

Compte rendu, concert. Poitiers. Auditorium, le 12 mars 2019. Dialogues des musiques chrétiennes, juives et musulmanes autour de la Méditerranée et de l'Orient : Shaouia (Syrie), La rosa enflorece (traditionnel séfarade), Ô aube Ya fajr (Chanson syrienne), Saltarello (Alphonse X le sage-CSM 77) ; Mowachah : Billiadi askara min adbi llama, Fiyachia (chansons arabes) ; anonyme séfarade : El rey nimrod ; A Damas (chanson d'amour sur un text de Qays ibn al-Moullawwah) ; La quarte Estampie royale (le manuscrit du roi, Paris – XIIIe siècle) ; Laïli Djân (danse afgane) ; Ya Mariam el bekr (hymne à la vierge Marie, Syrie/Liban) ; Koniali (danse de Grèce et de Turquie) ; Ya bourdaeyn (chanson dansée arabe) ; Lamento di Tristano (Trecento mss. - Italie XIIIe siècle) ; Ce Brun Hal asmar (chant traditionnel de Damas – Syrie) ; Makäm-i Uzzäl Säkîl «Turna» Semâ'î (Mss. Dimitrie Cantemir, 324) ; 'Al maya, 'al maya (chanson dansée arabe). Waed Bouhassoun, chant et oud ; Moslem Rahal, ney ; Dimitri Psonis, oud, santur et guitare morisca ; Pedro Estevan, percussions ; Hesperion XXI. Jordi Savall, vielle, rabel, rabâb et direction.

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