Les soirées lyriques de Sanxay présentent Don Giovanni au théâtre antique


 

La programmation de Don Giovanni aux soirées lyriques de Sanxay a donné à Florian Sempey l’occasion de prendre un rôle mythique. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a donné à l’occasion de l’édition 2023 des Soirées lyriques une performance digne des meilleurs.



Don Giovanni composé et créé à Prague en 1787 a rapidement connu le succès. Mozart l’a repris plus tard pour le présenter à l’Opéra de Vienne (Autriche) en ajoutant des airs, notamment pour le ténor qui interprétait Don Ottavio et en retravaillant le reste de la partition. La présentation du chef d’œuvre de Mozart à Sanxay, dans sa version viennoise (avec, notamment le second air de Don Ottavio), est aussi l’occasion pour le baryton bordelais Florian Sempey de faire une prise de rôle remarquée dans le rôle titre. Il est accompagné par une jeune et belle distribution ; quant au chœur et à l’orchestre des Soirées Lyriques de Sanxay, fidèles au rendez-vous, ils ont assuré cette ultime représentation de l’édition 2023 des Soirées Lyriques avec panache.



Une mise en scène parfois statique mais classique


La mise en scène de Jean Christophe Mast est pleine de bonnes intentions mais nous regrettons que Mast se soit montré craintif aux moments les plus dramatiques. Ainsi pendant le finale du 1er acte, au moment du viol de Zerlina par Don Giovanni, Masetto est le seul à se précipiter au secours de sa fiancée, les trois masques restant étrangement statiques sur le module, près de la table du festin. A l’inverse, la descente de Don Giovanni aux enfers est fort bien pensée et l’angoisse de l’impénitent séducteur, parfaitement rendue par Florian Sempey, ressort avec une intensité très forte. Nous aurions aimé voir des costumes un peu plus colorés ; si Jérôme Bourdin a eu l’excellente idée de rester dans l’esprit du livret avec des costumes très XVIIIe siècle, peut-être aurait-il pu tenter un contraste avec ses décors très / trop sombres. Les belles lumières de Pascal Noël ont le grand mérite d’atténuer cet excès de noir et de gris anthracite car le beau costume rouge de Florian Sempey ne suffit pas à créer le contraste pourtant nécessaire. Le point d’orgue étant, au moment de la mort de Don Giovanni, la mise à feu de fusées symbolisant l’ouverture des portes de l’enfer.




L’orchestre et le chœur des Soirées Lyriques au top


Pour diriger l’orchestre et le choeur des Soirées lyriques, Christophe Blugeon a invité le chef d’orchestre Marc Leroy-Catalyud. Si nous avons pu apprécié une direction nerveuse, ferme, dynamique, nous regrettons qu’elle soit parfois un peu rapide, notamment dans l’ouverture. Mais Marc Leroy-Catalayud fait montre d’un professionnalisme digne des meilleurs chefs d’orchestre actuellement en activité ; attentif à ses chanteurs, solistes et choeur, il veille à mettre leurs voix en valeur sans jamais les couvrir. Quant au choeur, parfaitement préparé par son chef, Stefano Visconti, il fait honneur à Mozart malgré le peu d’interventions qu’il a pendant la soirée.


Une belle distribution menée de main de maître par Florian Sempey


Christophe Blugeon a le don de repérer des artistes jeunes et talentueux. Et avec Florian Sempey, qui est venu à Sanxay très vite dans sa jeune et brillante carrière, il ne s’est pas trompé. Le baryton bordelais, qui interprétait le rôle titre, faisait sa prise de rôle à l’occasion de cette édition spéciale de par sa fréquentation importante ; et il l’a faite de la plus belle des manières. La voix somptueuse de Sempey claque dans le théâtre antique avec une belle assurance. Chaque air de Don Giovanni est interprété avec un professionnalisme et une assurance dignes des meilleurs ; excellent comédien, Sempey, tout vêtu de rouge, rend avec talent les sentiments et les attitudes du mythique séducteur dont la morgue et l’arrogance fouettent le spectateur au visage avec force. Si la désinvolture de Don Giovanni est parfaitement rendue par un Florian Sempey en grande forme, sa peur et son angoisse aux portes de la mort et de l’enfer sont tout aussi frappantes. C’est la basse roumaine Adrian Sâmpetrean qui incarne Leporello. D’entrée de jeu, Sâmpetrean s’impose comme un excellent Leporello ; même s’il redoute son maître il ne craint pourtant pas de lui dire son fait (« La vita che menate è d’un bricone » [La vie que vous menez est celle d’un brigand]) et de lui tenir tête quand il va trop loin (comme au tout du deuxième acte dans le duo « Eh via buffone non mi seccar … No, no, padrone, non vo restar … » / « allons bouffon, ne m’ennuie pas … Non, non, mon maître, je ne veux pas rester »). Pour la partie théâtrale Adrian Sâmpetrean se montre à la hauteur de Sempey en faisant ressortir avec autant de force et de détermination toute l’humanité et la compassion de Leporello envers les victimes de son incorrigible maître. C’est la troisième fois que Andreea Soare est invitée aux Soirées lyriques (2017 : Die Zauberflöte / 1ère dame ; 2022 : Il barbiere di Siviglia / Berta). Dans le chef d’oeuvre de Mozart, elle donne vie à Donna Elvira et elle le fait avec talent. Soare intègre si parfaitement son personnage, qu’on a l’impression de voir à côté de nous l’épouse trahie, jalouse et vindicative. Quant à la voix elle claque au milieu du théâtre antique de Sanxay, nette, précise, implacable. Klara Kolonits qui campe Donna Anna, est le point faible de la soir. Si la jeune femme est pleine de bonne volonté tant vocalement que scéniquement, elle peine à s’imposer dans les ensembles comme le finale du 1er acte par exemple ; mais il nous faut reconnaître que ses deux arie sont interprétés avec une assurance peu commune. Nous aurions quand même apprécié un peu plus de tonus et d’engagement de la part de Kolonits, qui face à la tornade Sempey fait bien pâle figure. Granit Musliu incarne un Don Ottavio de très belle tenue ; le jeune ténor kosovar, il n’a que 25 ans, est doté d’une fort belle voix de ténor qui passe la rampe du théâtre antique sans effort. Charlotte Bonnet est une Zerlina de très belle tenue quant à Adrien Mathonat qui campe le commandeur et Masetto il complète avec bonheur cette très belle distribution.


C’est une représentation de très belle tenue à laquelle nous avons assisté. L’ovation debout reçue par les artistes, à commencer par Florian Sempey, qui est le grand triomphateur de la soirée, est grandement méritée. 2024 étant l’année du centenaire du décès de Giacomo Puccini (1858-1924), Christophe Blugeon a programmé La Bohême dont la distribution sera connue plus tard.


Compte rendu, opéra. Sanxay. Théâtre antique, le 14 août 2023. Wolfgang Amadeus Mozart (17561791) : Don Giovanni, opéra en deux actes sur un livret de Lorenzo Da Ponte (1749-1838) d’après Dom Juan ou le festin de pierre de Molière (1622-1673). Florian Sempey, Don Giovanni ; Klara Kolonits, Donna Anna ; Adrian Sâmpetrean, Leporello ; Andreea Soare, Donna Elvira ; Granit Musliu, Don Ottavio ; Charlotte Bonnet, Zerlina ; Adrien Mathonat, Masetto / Commandeur. Jean Christophe Mast, mise en scène ; Jérôme Bourdin, scénographie, costumes, décors ; Pascal Noël, lumières. Stefano Visconti, chef de choeur ; Edwige Herchenroder, cheffe de chant. Choeur et orchestre des Soirées Lyriques de Sanxay. Marc Leroy-Catalayud, direction.


Crédit photos : Cyril Cosson

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