Léa Désandre et l’ensemble Jupiter s’invitent au Théâtre Auditorium de Poitiers avec un programme Vivaldi Haendel remarquable



Poursuivant mon parcours de l’avent, mes pas me portent une fois de plus au Théâtre Auditorium de Poitiers pour un récital de Léa Désandre et du jeune et séduisant ensemble Jupiter qui est né en 2018 de la volonté d’une bande d’amis. Si Léa Désandre connaît un parcours fulgurant, grâce entre autres, au jardin des voix de William Christie, Thomas Dunford, instrumentiste talentueux, connaît la même destinée avec le théorbe et le luth dont il est un des jeunes et talentueux interprètes. Et les responsables du Théâtre Auditorium de Poitiers ont eu une excellente idée car c’est un récital exceptionnel auquel j’ai assisté mardi soir.


Antonio Vivaldi (1678-1741) et Georg Friedrich Haendel (1685-1759) sont contemporains mais ont connu des trajectoires très différentes puisque Vivaldi est mort à Vienne (Autriche) dans l’anonymat le plus complet et a vu son œuvre tomber dans l’oubli pendant plus de deux siècles alors que Haendel n’a jamais vraiment quitté le haut de l’affiche. Et c’est d’abord le corpus instrumental de Vivaldi qui a été redécouvert dans les années 1950 et remis à l’honneur ; et dans ce corpus imposant l’ensemble Jupiter a interprété deux courts concertos du compositeur vénitien : le concerto pour luth en ré majeur RV 93 et le concerto pour violoncelle en sol mineur RV416. Le premier a permis à Thomas Dunford de donner une leçon de luth grandeur nature tant le jeune homme maîtrise parfaitement son instrument ; le tempos et les nuances sont parfaits et Dunford prend un plaisir particulier à interpréter la musique de Vivaldi. Alors que le second a mis en valeur le talent du tout jeune violoncelliste Bruno Philippe qui à seulement 29 ans n’a rien à envier aux meilleurs. Il aura fallu plus longtemps aux opéras de Vivaldi pour revenir sur le devant de la scène ; en effet, ce n’est que dans les années 1970 que ses opéras commencent à être montés et enregistrés, timidement certes mais cette renaissance a remis Vivaldi sur le devant de la scène sans retour possible. C’est la jeune et talentueuse mezzo soprano Léa Désandre qui interprète des extraits de trois opéras du compositeur vénitien. Récompensée en 2017 de la victoire de la révélation lyrique, Léa Désandre a intégré le jardin des voix de William Christie à seulement 20 ans lançant ainsi une carrière fulgurante. Avec « Gelido in ogni vena » c’est un extrait de Il farnace (créé en 1727) que nous propose la jeune femme très en voix. Dès les premières notes on ne peut qu’être frappé par la beauté de la voix, l’élégance de la technique, la largeur impressionnante de la tessiture … Bref tout ce qu’on attend d’entendre à l’opéra. Et nous n’avons pas été déçus par Désandre qui adopte des tempos et des nuances quasi parfaits et qui « balance » les vocalises avec un aplomb remarquable. « Armatae face et anguibus » (extrait de Juditha Triumphans) et « Onde chiare che sussurrate » (extrait de Ercole sul Termodonte) ne font que confirmer l’excellente impression que donne Léa Désandre dans l’interprétation des opéras de Vivaldi.


Au retour de l’entracte Léa Désandre et l’ensemble Jupiter interprètent des œuvres de Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Ce saxon installé à Londres après avoir passé deux ans en Italie a laissé à la postérité un corpus opératique et instrumental imposant. La sérénade de la suite N°4 en ré mineur HWV 437 en est une des pièces les plus connues [de ce corpus] et l’ensemble Jupiter l’interprète avec une maestria incomparable tant dans les tempos et les nuances, parfaits, que techniquement. Si « Prophetic Raptures Swell my Breast » extrait de Joseph and his Brethren est remarquablement interprété par une Léa Désandre toujours aussi survoltée, c’est surtout « No, no, I’ll Take no Less » extrait de Sémélé qui interpelle tant les vocalises, que l’on pourrait comparer à des rafales de mitraillettes, sont lancées avec une maîtrise parfaite digne des meilleures interprètes de Haendel.



C’est un récital d’une rare intensité et d’une maîtrise quasi parfaite que Léa Désandre et l’ensemble Jupiter ont donné au Théâtre Auditorium de Poitiers en ce froid mardi soir de décembre. Et le public ne s’y est pas trompé en réservant une ovation largement méritée à l’ensemble des artistes présents sur la scène. Au point qu’ils ont concédé deux bis dont une pièce composée par Thomas Dunford et Doug Balliett : « We are the ocean ». Cette ultime pièce est interprétée avec un humour décapant tant par Léa Désandre que par Thomas Dunford qui en profite pour présenter l'ensemble des musiciens présents et c'est une attention rare qui a le mérite de mettre la lumière sur des jeunes gens talentueux qui le méritent grandement.


Compte rendu, concert. Poitiers. Auditorium, le 13 décembre 2022. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Il farnace RV 711 : « Gelido in ogni vena », Juditha Triumphans RV 644 : « Armatae face et anguibus » ; Ercole sul Termodonte RV 710 : « Onde chiare che sussurrate » ; RV 416Concerto pour luth en ré majeur ; RV 93 Concerto pour violoncelle en sol mineur. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Théodora HWV 68 : « With Darkness Deep », « As with Rosy Steps the Morn Advancing », Joseph and his Brethren HWV 59 : « Prophetic Raptures Swell my Breast » ; Solomon HWV 67 : « Will the sun forget to streak » ; Suite n°4 en ré mineur HWV 437 : Sarabande ; The Triumph of Time & Truth HWV 71 : « Guardian Angels » ; Semele HWV 58 : « No, no, I’ll Take no Less ». Bis : Armatae face et angibus (Juditha triomphans) ; Thomas Dunford (né en 1988) / Doug Balliett (né en 1982) : We are the ocean. Léa Désandre, mezzo soprano ; Bruno Philippe, violoncelle ; ensemble Jupiter ; Thomas Dunford luth et direction.


Crédit photo : Daniel Dittus

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