L’ensemble Doulce Mémoire s’installe dans les jardins à la française du château de Chambord
Depuis sa création en 2011 le festival de Chambord a déjà accueilli l’ensemble Doulce mémoire. En effet, Denis Raisin Dagre et ses musiciens sont venus au château en 2019 avec un programme consacré à la musique Florentine. Aucun divertissement sous quelque forme que ce soit n’étant toléré à l’extrême fin du XVe siècle, presque toutes les œuvres musicales sont passées (ainsi que les œuvres littéraires et picturales) sur les bûchers élevés par le terrible moine Savonarole qui « régna » sur Florence de 1494 à 1498 après avoir chassé les Médicis qui étaient très impopulaires depuis quelques années. Les coups de boutoirs de Savonarole leur furent une leçon salutaire (https://lyriqueinfo.blogspot.com/2019/07/lensemble-doulce-memoire-ouvre-le.html). Pour échapper à ce « carnage » les compositeurs florentins ont fait preuve d’ingéniosité en changeant les paroles de leurs œuvres par des parodies de motets et de psaumes.
A
l’occasion de l’édition 2025 du festival de Chambord, l’ensemble
fondé et dirigé par Denis Raisin Dagre arrive avec un programme
joliment intitulé « La roulotte d’Arlequin » - une
comédie musicale qui ressemble beaucoup à la commedia dell’arte
de la fin de la période renaissance. La cour du château ou se
déroulent habituellement les concerts étant trop exiguë pour
accueillir ce programme original, l’ensemble a posé ses affaires
(roulottes, costumes et instruments) dans les jardins à la
française. C’est donc sous les ombrages protecteurs des jardins
que le public venu nombreux (la jauge étant petite, ce sont 300
personnes qui ont assisté à ce spectacle original défendu avec
talent, et une bonne dose d’humour par les artistes de l’ensemble
Doulce mémoire).
Une œuvre qui ressemble beaucoup à la commedia dell’arte
Donc, « La pazzia senile » d’Adriano Banchieri (1568-1634) plus qu’une comédie musicale est plutôt une œuvre issue de la commedia dell’arte, un art qui fit fureur en Italie au XVIe. Et Banchieri s’est servi de cet art si populaire avec talent ; Denis Raisin Dagre, parfaitement accompagné par une équipe certes restreinte mais d’un dynamisme inégalable et d’une inventivité à toute épreuve a parfaitement compris le propos de Banchieri et s’est appuyé sur le canevas du compositeur bolognais pour faire ressortir le comique de chaque situation.
Un compositeur méconnu mais prolixe
Adriano Banchieri (1568-1634) est entré dans les ordres très jeune. Moine olivétain (de l’ordre du Mont-Olivet dépendant des bénédictins) dès l’âge de 19 ans il a pris le nom d’Adriano à son entrée dans cet ordre peu connu. Il n’en fréquenta pas moins quelques un des plus grands compositeurs de son époque comme Claudio Monteverdi (1567-1643), Girolamo Frescobaldi (1583-1643) ou encore Orazio Vecchi (1550-1605). Hyperactif et théoricien remarquable Banchieri a écrit de nombreux ouvrages musicaux (ayant trait notamment au solfège (rythme, nuances), à l’orgue entre autres sujets). Il a aussi laissé nombre d’oeuvres de musique religieuse et profane dont « La pazzia senile » (la folie de la vieillesse) que l’ensemble Doulce mémoire présente encore de temps à autres depuis la création de ce programme en 2022 à Tours.
Une distribution talentueuse et très inspirée
En tout ils ne sont que neuf chanteurs et instrumentistes de l’ensemble Doulce Mémoire. Et quelle belle énergie se dégage de la scène portée avec talent par Denis Raisin Dagre qui joue ses différentes flûtes, bien sûr, et joue aussi le rôle du narrateur (endossant de manière hilarante le rôle de « chef » de troupe) avec un humour dévastateur. Cela étant dit, il est bien aidé par la mise en scène virevoltante et très inspirée de Philippe Vallepin ; les costumes de Audrey Gendre et les lumières de Paul Berthomé sont aussi pour beaucoup dans la réussite de la soirée. C’es Denis Raisin Dagre (secondé avec talent par Cédric Piromalli et Matthieu Le Levreur) qui est aussi à l’origine des arrangements musicaux pour flûtes, guitare baroque, luth, clavecin et pianino Dans les deux rôles de la servante Franceschina et de la courtisane Lauretta la soprano Véronique Bourin fait sensation. La jeune femme prend visiblement un malin plaisir à monter sur la scène pour contrecarrer les plans de son maître qui veut marier sa fille au « vieux » médecin en faisant en sorte que la jeune fille voie aussi souvent que possible le jeune et séduisant Fulvio son « vrai » amoureux. C’est Véronique Bourin qui interprète un premier prologue totalement déjanté avant d’être rejointe par les autres chanteurs pour le « vrai » prologue. L’amoureuse Doralice est interprétée par la mezzo soprano Camille Fritsch. Visiblement la jeune femme s’amuse beaucoup à faire tourner son père et son soupirant officiel en bourique ; si la voix est belle et parfaitement maîtrisée j’aurais apprécié que Mlle Fritsch en fasse un peu plus dans la folie de la commedia dell’arte Dans toute commedia dell’arte digne de ce nom il y a un Arlequin ; dans la Pazzia senile c’est le ténor Hugues Primard qui s’y colle. On s’amuse à le voir faire ses mauvais coups l’air de rien comme s’il disait « Mais euh … c’est pas moi d’abord ». Avec Almeno Gonçalves nous avons un beau Fulvio, l’amoureux de Doralice. Mattieu Le Levreur (Docteur Graziano / Capitaine Spavento) et Antoine Pluche (Pantalone / un marchand de Murano) complètent avec bonheur cette très belle distribution qui s’amuse beaucoup à chanter la musique de Banchieri et les madrigaux qui ont été rajoutés (et qui datent aussi de la fin du XVIe siècle) tout en s’envoyant, en toute bonne foi (ou est ce l’inverse, nul ne le sait. Si vous avez l’occasion de voir ce charmant spectacle vous en déciderez vous même) quelques piques et coups bas parfaitement calculés.
Un trio élégant et talentueux pour accompagner les chanteurs
Musicalement Denis Raisin Dagre aux flûtes, Miguel Henry au luth et aux guitares et Cédric Pirollami au pianino et au clavecin accompagnent les chanteurs avec talent et élégance. Si j’ai pu m’interroger sur la présence de seulement trois musiciens sur le côté de la scène, le fait est que cela suffit pour accompagner les artistes présents sur le plateau car la musique de Banchieri et des madrigaux ajoutés au spectacle n’auraient sans doute pas supporté une musique plus « bruyante » que nécessaire.
C’est un très beau spectacle que Denis Raisin Dagre et l’ensemble Doulce mémoire ont présenté devant le public du festival de Chambord. S’il peut y avoir quelques améliorations, mineures au demeurant, à apporter au jeu d’acteur de Mlle Fritsch j’ai apprécié le dynamisme et le vent de folie qui a soufflé sur le château de Chambord en ce beau jeudi d’été.
Compte rendu, concert. Château de Chambord. Jardins à la française, le 10 juillet 2025. Adriano Banchieri (1568-1634) : La pazzia senile. Véronique Bourin, la servante Frnaceschina, la courtisane Lauretta ; Camille Fritsch, l’amoureuse Doralice ; Hugues Primard, Le Zanni, Arlequin ; Almeno Gonçalves, l’amoureux Fulvio ; Mattieu Le Levreur, le docteur Graziano, le capitaine Spavento ; Antoine Pluche, Pantalone, un marchand de Murano. Miguel Henry, Luth, guitares ; Cédric Piromalli, pianino, clavecin. Ensemble Doulce Mémoire ; Denis Raisin Dagre, flûtes et direction. Philippe Vallepin, mise en scène ; Denis Raisin Dagre, Cédric Piromalli, Matthieu Le Levreur, arrangements musicaux ; Amandine Fonfrède, scénographie ; Audrey Gendre / Cathie Hirigoyen, costumes ; Paul Berthomé, création lumières.

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