Voyage à Saint Germain des Prés : retour dans le Paris bouillonnantdes années 1950 et 1960

Dans le contexte sanitaire particulier de cette année étrange, nous nous réjouissons du maintien du festival de Saint Céré, malgré le report à 2021 des deux opéras initialment programmés pour 2020. C'est donc avec un certain plaisir que nous posons nos valises à Saint Céré pour assister à trois des soirées proposées par les responsables du site. Les concerts se déroulent dehors et avec des jauges réduites de moitié, soit 200 personnes maximum pour chaque concert. Le premier concert dont nous allons parler nous emmène dans le quartier de Saint Germain des Prés, en plein cœur de Paris, qui bouillonnait de vie dans les années 1950 et 1960. Le quatuor invité pour ce spectacle particulier sont des habitués du festival auquel ils ont, pour certains, participé dès sa création en 1980.


Très motivés par la reprise de leur activité, les quatre chanteurs et le pianiste entament le concert sur les chapeaux de roue. Avant tout, signalons que Flore Boixel d'abord invitée a été victime d'un accident malencontreux et a été remplacée au pied levé par Nathalie Schaaff. Le concert couvre plusieurs décennies de variétés française puisque la période « sélectionnée » va de 1939 à 1970 ; période pendant laquelle cette ville dans la ville qu'était Saint Germain des Prés a connu un tourbillon de vie et de création artistique inéglable et inégalé. Et l'on ne peut qu'apprécier la performance de Nathalie Schaaff qui a du apprendre toutes ses chansons et la mise en espace en une dizaine de jours ; si l'on peut regretter que la chanteuse soit parfois un peu trop statique, notament lorsqu'elle chante « La javanaise » de Serge Gainsbourg (1928-1991), on ne peut que saluer une très belle interprétation des chansons dont elle a hérité. Si nous aurions apprécié de voir esquisser quelques pas de danse sur l'interprétation de « la javanaise », nous avons été séduits par « Je suis comme je suis » et par « Si tu t'imagines » (Joseph Kosma [1905-1949]). Sandrine Montcoudiol, ne manque ni de talent ni de voix. La vis comica de Montcoudiol esquissée dans « Escale » (Monnot [1903-1961] / Marèze [?-1942]) et « Ca tourne pas rond » (Leca [1914-1981] / Blanche [1921-1974]) explose littéralement avec « Rythme et swing » (Durand [1907-1977] /Casanova [?-?]). C'est au point que Perez, Vignau et Schaaf accompagnent leur complice et se lancent dans un swing endiablé pour le plus grand plaisir d'un public séduit et hilare devant ce show endiablé. Si Eric Perez, ce grand passionné de cinéma, de théâtre et de variété française est comme un poisson dans l'eau dans ce vaste répertoire, on attendait moins Eric Vignau dans les grands classiques de la variété française. Ce grand habitué des productions opératiques d'Opéra Eclaté depuis le milieu des années 1980 qu'est Vignau surprend son public en se prennant au jeu et en chantant avec un plaisir gourmand chacune des chansons qu'il a soigneusement choisi. Si Vignau se rôde avec « Sanguine » (Crolla [1920-1960] / Prevert [1900-1977]), avec « Jolie môme » (Léo Ferré [1916-1993]), « Comme à Ostende » et « Le piano du pauvre » du même Léo Ferré, il se laisse aller et entraine son public dans le Saint Germain des Prés d'avant et d'après guerre avec talent et humour. Eric Perez qui n'est pas à son coup d'essai avec ce genre de performances (son récital de musiques de films donné au festival de Saint Céré, édition 2017, reste l'un des temps forts de l'histoire du festival) dégaine une panoplie de mouvements scéniques et de mimiques hilarantes et avec « J'suis snob » (Walter [1930-2012] / Vian[1920-1959]) il donne le ton de la soirée. Avec le « blues du dentiste (Salvador / Vian [1920-1959]) et Monsieur William (Ferré / Caussinom) Perez fait montre de réelles qualités dramatiques et d'un humour noir qui fait mouche dans la salle en plein air improvisée. Au piano c'est Roger Pouly qui accompagne les quatre compères avec beaucoup de talent. Acompagnateur, en son temps, d'artistes comme Bobby Lapointe, Maurice Fanon ou Cora Vaucaire entre autres, il connait leur répertoire, dont une partie est reprise ici, sur le bout des doigts et on le voit se délecter en le reprenant. Pour permettre aux quatre chanteurs de se reposer un peu, il joue avec entrain et beaucoup de talent un intermède musical composé d'oeuvres de Georges Gershwin (1898-1937). Et si nous apprécions cette muisque si belle et aux accents très jazzy, nous apprécions aussi un sens de l'humour aigu, surtout lorsque les quatre compères se lancent dans un swing endiablé.


C'est un très beau concert auquel nous avons assisté en ce chaud vendredi soir. Concert repris quelque jours plus tard en Dordogne et que nous espérons voir partir en tournée tant les cinq complices se régalent à défendre un répertoire parfois méconnu voire oublié. Ce retour « aux sources » est d'autant plus nécessaire qu'il permet aussi de montrer l'extraordinaire vitalité de la vie artistique française.


Compte rendu concert.. Saint Céré. Théâtre de l'usine, le 31 juillet 2020. Georges Gershwin (1898-1937) : intermède musical, Roger Pouly, piano. Chansons de Léo Ferré (1916-1993) : A Saint Germain (tous les quatre), Jolie môme (Eric Vignau), Comme à Ostende (Eric Vignau), Le piano du pauvre (Eric Vignau), Monsieur William (Eric Perez) ; Guy Béart (1930-2015) : Bal chez Temporel (Nathalie Schaaf), Il n'y a plus d'après (Eric Perez) ; Marguerite Monnot (1903-1961) / Jean Marèze (?-1942) : Escale (Sandrine Montcoudiol) ; Henri Crolla (1920-1960) / Jacques Prévert (1900-1977) : Sanguine (Eric Vignau) ; Jimmy Walter (1930-2012) / Boris Vian (1920-1959) : J'suis snob (Eric Perez) ; Joseph Kosma (1905-1949) : Je suis comme je suis (paroles de Jacques Prévert [1900-1977]) (Nathalie Schaaf), si tu t'imagines (paroles de Raymond Queneau [1903-1976]) (Nathalie Schaaf), la pêche à la baleine (paroles de Jacques Prévert [1900-1977]) (tous les quatre) ; Henri Leca (1914-1981) / Francis Blanche (1921-1974) : Ca tourne pas rond (Sandrine Montcoudiol) ; Henri Salvador (1918-2008) : Mon ange gardien (paroles de Bernard Michel [1919-1992]) (Eric Perez), Blues du dentiste (paroles de Boris Vian [1920-1959]) (Eric Perez), Syracuse (paroles de Bernard Dimey [1931-1981]) (Sandrine Montcoudiol) ; Jacques Datin (1920-1973) / Claude Nougaro (1929-2004) : Une petite fille (Eric Perez) ; Serge Gainsbourg (1928-1991) : La chanson de Prévert (Nathalie Schaaf), La javanaise (Nathalie Schaaf) ; Paul Durand (1907-1977) / Jean Casanova (?-?) : Rythme et swing (Sandrine Montcoudiol) ; Claude Valéry (1909-1992) / Raymond Asso (1901-1968) : Comme un p'tit coq'licot (Eric Vignau) ; Marc Berthomieu (1906-1991) / Martial Carré (né en 1929) : Les ratés de la bagatelle (Nathalie Schaaf) ; Maurice Fanon (1929-1991) : L'écharpe (Eric Vignau) ; Barbara (1930-1997) : La solitude (Sandrine Montcoudiol) ; Jean-Roger Caussimon (1918-1985) : La java de la varenne (Nathalie Schaaf) ; Georges Van Parys (1902-1971) / Marcel Mouloudji (1922-1994) : Un jour tu verras (Eric Vignau) ; Guy Béart (1930-2015) : Il n'y a plus d'après (Eric Perez). Bis : Charles Trenet (1913-2001) ; : L'âme des poètes (tous les quatre) . Nathalie Schaaff, soprano ; Sandrine Montcoudiol, mezzo soprano ; Eric Vignau, ténor ; Eric Pérez, baryton ; Roger Pouly, piano.

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