Au château de Castelnau Bretenoux Rossini résiste à la pandémie et au marasme ambiant

Pour combattre la morosité ambiante, rien de tel qu'un récital de belcanto romantique bouffe ; et le maître italien en la matière est bien Gioachino Rossini (1792-1868). C'est dans le cadre somptueux du château de Castelnau-Bretenoux qu'a lieu le récital consacré à Rossini donné par un jeune et beau quatuor d'artistes accompagné au piano par l'excellent Gaspard Brécourt. Si, comme au théâtre de l'usine, la jauge est réduite de moitié, l'on ne peut qu'apprécier la sereine et tranquille majesté du site. Si ce sont des « tubes » qui ont été programmés, en général cela attire un public nombreux, les artistes ont souhaité intégrer à ce très beau programme un opéra très peu connu des mélomanes : « Il turca in Italia »*. Cette œuvre composée en 1814, au début de la carrière opératique de Rossini, contient pourtant de très belles pages. Au passage, signalons aussi que Franck Leguérinel ne se contente pas de chanter ; en effet il présente aussi la soirée avec beaucoup d'humour en citant au passage des extraits des critiques, parfois acerbes, parfois dithyrambiques, de Stendhal (783-1842) qui était contemporain de Rossini et assista à la création des œuvres du maestro italien.


C'est donc avec le très méconnu « Il turco in Italia » (composé et créé en 1814 sur un livret de Felice Romani [1788-1865]) que commence la soirée. Le trio choisi par ces messieurs, « Un marito scimunito » n'est pas très long mais assez fracassant et comique pour que l'auditeur s'en souvienne par la suite. Pour faire court, un poète en manque d'inspiration compte se servir des scènes de la vie courante dont il est témoin pour écrire son prochain « drame » ; drame dans lequel on trouve un mari copieusement trompé par son épouse et l'amant du moment de la dame. Inutile de dire que ce projet n'est pas vraiment du goût du mari et du galant qui protestent vigoureusement tout en memacant le poète de quelques coups bien sentis. Camille Tresmontant, Philippe Estèphe et Franck Leguérinel prennent un malin plaisir à chanter ce charmant trio qui pose les évènements à suivre. Avec « Il barbiere di Siviglia » (dont le livret est tiré de la pièce éponyme de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais [1732-1799]) on entre dans le vif du sujet ; C'est Camille Tresmontant qui ouvre le bal avec l'aria du faux Lindoro (Almaviva déguisé) « Se il mio nome saper voi bramate » dans lequel il tente une première fois de séduire Rosina qui veut savoir qui est son soupirant. Le jeune homme s'accompagne à la guitare, instrument dont il joue avec talent, et c'est au milieu du public qu'il chante avec un bel aplomb. Ce placement nous permet de profiter au pus près d'une belle voix de ténor chaleureuse et prometteuse. Le duo « Dunque io son » permet à la jeune mezzo soprano Lamia Beuque de faire son entrée en scène ; là aussi, nous profitons d'une voix de mezzo à la tessiture large, avec des graves et un medium de toute beauté, quant aux aigus ils sont flamboyants, qualité impérative lorsque l'on veut chanter du Rossini. Nous apprécions aussi de réelles qualités de comédienne qui font de Rosina la canaille à laquelle s'attend l'auditeur. Le jeune baryton Philippe Estèphe donne à Figaro de belles couleurs mais ce duo ne le met pas vraiment en valeur et nous aurions apprécié de pouvoir écouter l'air d'entrée de Figaro qui donne, en général, le ton de la soirée. C'est avec « La cenerenotola » que nous atteignons le point d'orgue du récital puisqu'à l'origine c'est cet opéra qui devait être donné dans le cadre somptueux de château. Franck Leguérinel campe un Don Magnifico très convaincant et, même si la voix est plus celle d'un baryton que d'un baryton basse, il assume crânement la tessiture de « Miei rampolli feminini », air d'entrée du méchant beau-père d'Angélina (qui remplace la belle mère du conte de fée**). « Com'un'apé ne'giorni d'aprile » l'air d'entrée du valet Dandini, déguisé en prince, pour permettre à son maître de mieux observer les trois jeune filles de la maison, ne manque pas de piquant et Philippe Estève, à l'instar de ses comparses, fait montre de belles qualités de comédien et assume avec panache une tessiture pas évidente. La rencontre entre Don Ramiro et Angélina « Tutto è deserto » est fort bien menée, mais nous aurions apprécié un peu plus d'engagement quant à l'interprétation scénique. Même s'il s'agit d'une mise en espace, cela n'empêche pas de s'investir autant que dans une mise en scène normale, notament dans la partie centrale « Voi, chi siete ? Io ? Chi sono ? Non lo so. Nol sapete ? Quasi no … ». Mais le duo le plus comique de la soirée est bien celui ou Dandini et Don Ramiro se confrontent : « Un segreto d'importanza ». Si l'on peut regretter un départ pas très net, voire même un peu savonné de la part d'Estèphe il se recadre rapidement et donne la réplique à Leguérinel avec un bel aplomb. Pour terminer la soirée, le public accompagne Isabella en Algérie ; « L'Italiana in Algeri » (sur un livret de Angelo Anelli [1761-1820])montée à Saint Céré en 1992 pour la première fois recèle de très jolies pages. Les deux duos choisis pour l'occasion « Ai capricci della sorte » et « Oh ! Che muso, che figura » laissent voir d'entrée de jeu les réactions et les sentiments des personnages. Que ce soit le caractère flamboyant et déterminé d'Isabella, les bougonneries de Taddeo ou la naïveté de Mustafa qui court dans chaque piège tendu par les trois italiens. Et justement, le « coup » du Papatacci est le type même du piège dans lequel se précipite Mustafa, fou amoureux d'Isabella ; le trio « Papatacci » chanté par Taddeo, Lindoro et Mustafa est d'autant plus drôle que les sentiments de chacun sont éxacerbés et prennent un relief plus savoureux que l'on s'approche du dénouement ; L'on remarque d'emblée que Tresmontant, Estèphe et Leguérinel s'amusent beaucoup à chanter ce trio hilarant. Avec l'aria « Per lui che adoro », Isabella fait une déclaration d'amour enflammée à Lindoro et elle en rajoute car elle sait que Mustafa, Taddeo et Lindoro qui sont cachés l'entendent. Lamia Beuque, toujours très en forme, chante avec gourmandise un aria difficile. Au piano c'est l'excellent Gaspard Brécourt qui acompagne les quatre artistes ; si, lors des éditions précédentes, nous avons eu l'occasion d'apprécier le chef d'orchestre, le pianiste se révèle aussi talentueux, attentif, brillant que le chef d'orchestre. A aucun moment il ne couvre ses chanteurs qui suivent ses tempi et démarrent au cordeau.


Nous avons assisté à une très belle soirée d'opéra avec des artistes d'autant plus motivés, voire survoltés, que le maintien de l'édition 2020 du festival marquait la reprise de leur activité. Et même si nous aurions apprécié d'écouter des œuvres moins connues comme, par exemple, Maometto II, Le siège de Corinthe ou Bianca e Faliero en plus de Il turco in Italia, c'était là l'occasion de montrer le travail réalisé lors de leur résidence au château de Castelnau-Bretenoux autour de La cenerentola.


Compte rendu, concert. Castelnau-Bretenoux. Château, le 2 août 2020. Gioachino Rossini (1792-1868) : Il turco in Italia : trio « Un marito scimunito » (Poeta, Geronio, Narciso) ; Il barbiere di Siviglia : « Se il mio nome saper voi bramate » (Almaviva), duo « Dunque io son » (Rosina / Figaro), extrait du quintet « Come qua ? … Servitor di tutti quanti » (bis) ; La cenerentola : air « Miei rampolli feminini » (Don Magnifico), air « Come un'apé ne'giorni d'aprile » (Dandini), air et duo « Tutto è deserto » (Don Ramiro / Angelina [Cenerentola]) ; duo « Un segreto d'importanza » (Dandini / Don Magnifico) ; L'italiana in Algeri : duo « Ai capricci della sorte » (Isabella / Taddeo) ; duo « Oh ! Che muso, che figura » (Isabella / Mustafa) ; trio « Papatacci » (Lindoro / Taddeo / Mustafa), aria « Per lui che adoro » (Isabella). Lamia Beuque, mezzo soprano ; Camille Tresmontant, ténor ; Philippe Estèphe, baryton ; Franck leguérinel, baryton basse ; Gaspard Brécourt, piano.


Quelques CDs pour découvrir plus avant Il turco in Italia :


  • 1954 : Avec Maria Callas (Fiorilla) et Nocola Rossi-Lemeni (Selim) ... Après 1954, Maria Callas ne rechanta jamais Il turco in Italia. L'enregistrement de 1954 est donc la seule trace de son incursion dans cet opéra.


  • 1981 : Avec Montserrat Caballé (Fiorilla) et Samuel Ramey (Selim) ...


  • 1991 : Avec Sumi Jo (Fiorilla) et Simone Alaimo (Selim) ...


  • 1998 : Avec Cécilia Bartoli (Fiorilla) et Michele Pertusi (Selim) …

Pour Cendrillon : Les versions les plus connues du célèbre conte de fées sont celles de Charles Perrault (1628-1703) et des frères Grimm (Jacob (1785-1863) et Wihelm [1786-1859]). Ce mythe a donné lieu à nombres de films, dessins animés et œuvres musicales (notament opéra(s) et comédie(s) musicales). En ce qui concerne l'opéra de Rossini, il y a de nombreuses versions qui ont été gravées au CD ou qui sont sorties en DVD.





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