Les chœurs de l'armée rouge Alexandrov triomphent au palais des congrès de Paris
Le
plus célèbre et le plus populaire des chœurs militaires vient de
passer trois semaines et demi en France. Trois semaines au cours
desquelles les chœurs de l'armée rouge Alexandrov ont donné vingt
quatre concerts, dont quatre au palais des congrès de Paris. C'est à
l'un des concerts parisiens que nous avons assisté en ce week-end de
pâques. La présence du chœur Alexandrov en France est d'autant
plus exceptionnelle qu'on ne l'y avait pas vu depuis 2003. On notera
aussi que c'est sa première tournée en Europe de l'ouest depuis l'épouvantable
accident d'avion qui a tué soixante-quatre de ses membres, dont son
chef, le général Valéry Khalilov, le jour de noël 2016. Placé
depuis début 2017 la direction de son nouveau directeur artistique et
musical le colonel Gennady Sachenyuk, l'ensemble fête avec éclat
les quatre-vingt-dix ans de sa fondation en 1928 par le général
Alexandr Alexandrov.
Comme
de bien entendu, le concert débute par l'interprétation des hymnes
nationaux de la France et de la Russie.
D'entrée de jeu, en écoutant la Marseillaise, on notera que
l'ensemble a un français parfois exotique mais très compréhensible.
C'est d'autant plus appréciable que certains artistes francophones
sont nettement moins rigoureux à ce sujet. Le colonel
Sachenyuk, excellent
musicien et talentueux chef d'orchestre, enchaîne avec des chansons
du répertoire militaire russe dont certaines ont été composées
par Alexandr Alexandrov lui même. On lui doit notamment l'hymne
national de Russie dont les paroles ont été changées par Sergueï
Mikhalkov (celui là même qui écrivit les paroles du premier hymne,
le soviétique, en 1944) après la chute de l'URSS en 2000. C'est
aussi Alexandr Alexandrov qui composa «La
guerre sacrée» en 1944 ;
cette chanson martiale remotiva les combattants au delà de toute
espérance. En Russie, à chaque interprétation de «La guerre
sacrée» le public se lève et reste debout pendant les trois ou
quatre minutes que dure la chanson. Cela n'a pas été le cas en
France mais le public séduit par le chœur Alexandrov s'est montré
très attentif. Les choristes suivent leur chef avec une précision
millimétrée. La
direction du colonel Sachenyuk,
surnommé «le maestro», est d'une rigueur incomparable : la battue
est claire, nette, précise, les départs sont donnés au cordeau. Le
chœur Alexandrov ne pouvait faire un meilleur choix, tant le talent,
la rigueur et l'implication sans égale du colonel Sachenyuk ont
permis à l'ensemble de se reconstruire très vite et de continuer à
briller de par le monde. Avec le Lacrymosa
du requiem de Mozart, le chœur Alexandrov a tenu à rendre hommage à
la cathédrale Notre Dame de Paris dont l'incendie survenu le 15
avril dernier a choqué le monde entier. Si l'on peut s'étonner de
voir un chœur d'hommes se saisir d'un chœur aussi beau et émouvant,
on ne peut qu'être surpris et touché par une interprétation qui
sublime la musique éternelle du compositeur salzbourgeois. En
chantant «Oh ma vaste
steppe»,
le seul chœur A Cappella de la soirée, le chœur Alexandrov, placé
sous la direction du troisième chef de l'ensemble juste pour cette
mélodie, donne une leçon de chant grandeur nature : justesse,
précision, style, diction parfaite, direction sobre, rigoureuse et
stylée. Entre deux
chansons du répertoire militaire, l'ensemble Alexandrov propose au
public des chansons de la musique populaire russe dont le répertoire
est si riche qu'il faudrait prévoir quelques dizaines de CDs rien
que pour les enregistrer. Néanmoins, les solistes de l'ensemble nous
proposent des interprétations superbes des mélodies qui leur ont
été attribuées. Les «vétérans» que sont Vadim Ananiev et
Valéry Gavva sont un exemple pour leurs jeunes collègues et on
comprend pourquoi en les écoutant. Le soliste principal de
l'ensemble, Vadim
Ananiev, interprète
tout d'abord «Les
rossignols de la patrie» ;
le ténor moscovite chante cette mélodie avec une sûreté de métier
confondante. La voix est solide, saine, parfaitement maîtrisée, les
nuances sont superbement modulées, la tessiture assumée avec
panache. Si la très belle interprétation de la joyeuse chanson «Le
colporteur», et de
«Korobeïniki» ne
passe pas inaperçue
c'est surtout «Kalinka»
que le public attend ; car personne d'autre que Vadim Ananiev, que
l'on surnomme de longue date «Mr Kalinka», ne chante cette très
populaire mélodie. Et nous ne sommes pas déçus ; dès
l'introduction instrumentale le chœur Alexandrov nous met dans
l'ambiance avec une mise en lumière certes un peu sévère mais
efficace, notamment sur l'entrée de Vadim Ananiev. La voix superbe
du légendaire soliste de l'ensemble claque dans la grande salle du
palais des congrès avec un aplomb inégalable. L'on apprécie une
interprétation dynamique et interactive tant Vadim Ananiev et le
colonel Sachenyuk, qui se montre très attentif envers son soliste et
ses musiciens, communient avec un public visiblement enchanté qui
réagit au quart de tour et obtient en bis, la reprise du troisième
couplet de la chanson très applaudie. C'est un duo ténor/baryton qui
chante «Smuglianka»
; Roman Valutov et Alexei Skatchkov sont en symbiose et cela se voit,
et cela s'entend.Les deux jeunes gens donnent à entendre une très
belle interprétation d'une mélodie à la fois charmante et
sensuelle sans pour autant tomber dans le graveleux. Les deux voix,
parfaitement maîtrisées, saines, solides, claires, s'accordent fort
bien et servent remarquablement le si beau répertoire populaire
russe. Avec le jeune et séduisant baryton Maksim Maklakov, nous
avons le privilège de découvrir la nouvelle génération de
l'ensemble ; le chœur Alexandrov, présente l'air
d'Escamillo comme une
marche, mais Carmen est si populaire en France, que le public corrige
de lui même. Nous avons droit à une performance remarquable tant
sur le plan musical qu'au niveau de la diction ; si le français est
parfois exotique, il est idéal et l'on comprend tout ce que dit
Maklakov au point qu'on se croirait presque dans l'arène de Séville
un jour de courses. Le colonel Sachenyuk et le chœur Alexandrov
démontrent avec éclat que l'ensemble a un répertoire d'une
incomparable richesse qu'ils défendent avec talent. Après une
incursion aussi exceptionnelle dans le répertoire opératique
français, Maklakov séduit son public avec la très belle chanson
«Cocher harnache les
chevaux».
L'autre «vétéran», Valéry Gavva, chante, avec sa belle voix de
basse deux très jolies chansons populaires russes «Le
long de la Peterskaïa»
et «Les yeux noirs».
Valéry Gavva fait honneur à son pays en défendant son répertoire
avec panache.
Le
corps de ballet du chœur Alexandrov n'intervient que dans la seconde
partie du concert avec un talent hors du commun. Si, pour leurs
premières apparitions, les danseurs arrivent costumés en militaires
(armée de terre et marine) on ne voit que l'élégance et la grâce
de ces jeunes gens dont la souplesse inouïe leur permet de faire des
prouesses que peu d'artistes pourraient faire ; comme par exemple
sauter par dessus un sabre bien aiguisé avec un amplitude de saut
phénoménale qui fait frissonner tout en subjuguant. Mais si nous
avons apprécié ces danses «militaires», nous devons bien admettre
que nous avons préféré les danses suivantes, en costumes
traditionnels, qui sont très charmantes, dynamiques, pleines de
vie, donnant même envie par moments de monter sur scène pour les
accompagner. C'est Nicolaï Kirilov, l'autre chef de l'ensemble, qui
dirige, avec talent, l'orchestre et les choeurs de l'armée rouge Alexandrov.
Les
chœurs de l'armée rouge Alexandrov ont fait honneur à leur
excellente réputation en présentant à un public conquis une
performance exceptionnelle. Le triomphe qu'ils ont reçu en ce samedi
soir est d'autant plus mérité que le talent, l'élégance, la grâce
étaient réunis sur la scène du palais des congrès de Paris. Nous
espérons simplement ne pas attendre seize ans avant de revoir ces
superbes artistes en France.
Compte
rendu concert. Paris. Palais des congrès, le 20 avril 2019. Vadim
Ananiev, ténor ;Valéry Gavva, basse ; Maksim
Maklakov, baryton ; Roman Valutov, baryton ; Alexei
Skatchkov, ténor. Chœur, orchestre et corps de ballet de
l'armée rouge Alexandrov. Colonel Gennady Sachenyuk, Nicolaï
Kirilov, direction.
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