Nabucco : Une version concert pour un opéra mythique et pourtant peu monté en France
Quand
Giuseppe Verdi (1813-1901) compose Nabucco en 1841, il était loin de
se douter que cette œuvre et, en particulier le célébrissime chœur
des esclaves «Va pensiero», ferait de lui le symbole des
révolutionnaires italiens qui, se battront contre l'occupant
autrichien pour l'unification de leur pays, reprendront régulièrement
le Va Pensiero tel un hymne national officieux. «Hymne» qui fut
très vite associé au slogan «Viva VERDI» qui signifiait, à
l'origine, «Viva Victor Emmanuel Re D'Italie». A sa création, le 9
mars 1842 à la Scala de Milan, Nabucco connaît instantanément un
immense succès populaire. Pour cette série de concerts à Lyon et à
Paris, c'est Leo Nucci qui, à l'origine, devait chanter le rôle
titre ; annoncé souffrant le célèbre baryton italien été
remplacé au dernier moment par le baryton mongol Amartusvin Enkbat.
Au sein de cette distribution composée d'artistes plus ou moins
connus, je note avec plaisir la présence de Riccardo Zanellato
(Zaccaria) et d'Anna Pirozzi (Abigaille) découverts l'un et l'autre
au festival Verdi de Parme (requiem, gala verdiano et fuoco di
gioia).
Prenons
les choses dans l'ordre. Tout d'abord l'orchestre ; dirigé par
Daniele Rustioni, un
jeune chef italien arrivé en 2014 à l'Opéra de Lyon, il se
surpasse dès l'ouverture. Rutsioni, visiblement survolté, donne un
rythme et une impulsion parfois un peu rapide mais d'une force
irrépressible. On regrettera une tendance de Rustioni à en faire
trop au niveau de la gestuelle en sautant partout sur le podium ;
c'est d'autant plus dommage que le jeune homme a une battue claire,
nette dynamique, donnant les départs avec une précision d'orfèvre.
La belle complicité qu'il a installé avec ses musiciens permet à
tous de donner une lecture superbe de la partition de Verdi. Ensuite,
le chœur de l'Opéra National de Lyon, parfaitement préparé par
son chef, interprète la partition de Verdi avec panache se jouant
des pics du chef d’œuvre avec une rigueur et un professionnalisme
qui font honneur au cygne de Busseto. Le point d'orgue de la
partition étant bien sûr le célébrissime Va pensiero qui se
termine sur un pianissimo morendo que les applaudissements d'un
public survolté ont terminé de manière intempestive.
Le
plateau vocal est quasi parfait. Si j'ai pu se poser des questions
sur le baryton mongol Amartusvin Enkbat remplaçant Léo
Nucci, elles ont été balayées de main de maître par ce jeune
homme qui a livré une performance superbe après un début
laborieux. Le duo avec Abigaille au troisième acte et surtout le Dio
di Giuda du dernier acte sont parfaits et l'ovation qui suit ces deux
moments de grâce sont largement méritées. Anna Pirozzi est
une Abigaille superbe de précision, de style et de méchanceté
comme on aimerait en voir plus souvent. Si l'on peut regretter que
quelques aigus ne soient pas très beaux, le médium et les graves
sont parfaitement assumés. Pirozzi déjà excellente dans l'aria
«Anch'io dischiuso un giorno», malgré un aigu assez laid, atteint
des sommets dans le finale «Su me … morente … esanime». Et
l'ovation qu'elle reçoit à cet instant salue une performance
remarquable. Avec Riccardo Zanellato on
a un Zaccaria de très belle tenue même s'il n'est pas à 100% de
ses moyens ce qu'on regrettera tant la voix est solide et maîtrisée
comme jamais. Cependant, la basse italienne donne à entendre un
Zaccaria autoritaire, ferme et affrontant sans crainte les pics d'une
partition redoutable. Malgré des graves parfois écrasés, les arie
dévolus à Zaccaria «Vieni ô levita» et «Oh chi piange … Del
futuro nel buio discerno» sont superbement interprétés. Si j'ai
été séduite, voire enthousiasmée par le trio principal, je l'ai
été nettement moins par la Fenena de Enkeledja Shkoza qui
connait bien son Verdi mais dont la voix m'a semblé bien peu
naturelle avec un vibrato gênant dans la première partie. Et même
si la mezzo albanaise est plus vaillante en seconde partie, sa
performance globale me laisse sur ma faim. Le jeune et séduisant
ténor italien Massimo Giordano n'a
que de bonnes intentions, mais son Ismaël m'a aussi laissé sur ma
faim. Certes la voix est saine, solide, ferme et correspond bien à
ce qu'on est en droit d'attendre dans un opéra de Verdi. Alors oui,
les deux amants sont quelque peu laissés de côté au profit de
Nabucco, Zaccaria et Abigaille, mais cela ne saurait expliquer
totalement l'investissement limité que j'ai noté dans les
performances de Shkoza et Giordano. Les trois rôles secondaires, eux
étaient présents et bien présents avec la très belle Anna de
Erika Baikoff dont la
belle et prometteuse voix de soprano claque dans la salle, notamment
avec de très beaux aigus parfaitement projetés. Martin
Hässler en grand prêtre de
Baal ne s'en laisse pas compter même si sa seule intervention
importante est dans le second acte ou il donne quasiment le pouvoir à
Abigaille. Grégoire Mour
dans le court rôle du fidèle Abdallo, mériterait sans aucun doute
d'être mis en avant avec sa belle voix de ténor.
Malgré
un Ismaël et une Fenena au mieux corrects, j'ai assisté, vendredi
soir, à un très beau concert avec un trio d'exception formé par
Enkbat, Zanellato et Pirozzi. C'est d'autant plus agréable qu'on
voit peu Nabucco en France. Le remplacement réussi de Leo Nucci par
le jeune baryton Amartusvin Enkbat y est pour beaucoup, tant il a
donné une performance remarquable dont le point d'orgue est un
magnifique «Dio di Giuda» au dernier acte. Appréciable aussi la
distribution des trois rôles secondaires dont j'espère voir les
titulaires distribués dans des rôles plus conséquents dans
l'avenir. Si j'ai adoré l'orchestre et le choeur de l'Opéra de
Lyon, j'aurais vraiment apprécié que Daniele Rustioni soit un peu
moins «remuant» sur son podium ; à plusieurs reprises j'ai bien
cru qu'il en arriverait à descendre du podium pour donner les
départs. Rustioni est un excellent musicien et un chef doué,
visiblement très apprécié par ses musiciens, qui gagnerait à être
plus mesuré quand il dirige.
Compte
rendu, opéra. Théâtre des Champs Elysées, le 9 octobre 2018.
Giuseppe Verdi (1813-1901) : Nabucco, opéra en quatre actes sur un
livret de Temistocle Solera tiré du drame Nabucodhonosor de
Auguste-Anicet Bourgeois et Francis Cornu. Amartusvin Enkbat,
Nabucco ; Riccardo Zanellato, Zaccaria ; Anna Pirozzi,
Abigaille ; Enkelejda Shkoza,
Fenena ; Massimo Giordano, Ismael ; Erika Baikoff,
Anna ; Martin Hässler, Grand prêtre de Baal à Babylone ;
Grégoire Mour, Abdallo. Choeur et orchestre de l'Opéra
National de Lyon ; Daniele Rustioni, direction.
Commentaires
Enregistrer un commentaire