L'Italie baroque s'invite à la montagne


Compte rendu concert. Le Freney d'oisans. Eglise St Arey, le 29 juillet 2018. Oeuvres de Dall'Abaco, Pergolèse, Porpora, Jommelli. Alain Daboncourt, flûte, Timéa Cipriani, soprano, Nitta Masato, contre ténor, Sylvain Gamèche, ténor, Romain Boulanger, baryton. Choeur et orchestre des Estives. Lorenzo Cipriani, direction.

Le massif de l'Oisans, situé en plein cœur des Alpes iséroises n'est souvent cité que comme point de passage du tour de France au Bourg d'Oisans juste avant la montée mythique vers l'Alpe d'Huez. Pourtant l'endroit, loin d'être isolé, est aussi actif en été qu'en hiver. Entre les activités sportives, qui ne se limitent pas qu'au vélo, et culturelles, plus nombreuses qu'il n'y paraît, le touriste de passage a de quoi s'occuper. Avec les nombreux festivals musicaux qui animent les différentes vallées de l'Oisans, le mélomane curieux a de quoi faire. Entre les randonnées musicales du Ferrand, le festival Maessian, qui se déroule au pied de la Meije, et les Estivales du Freney, la proposition est importante et couvre une large variété de musiques de toutes époques et de tous styles.

C'est dans le petit village du Freney d'Oisans, situé à quelques encablures du Bourg d'Oisans, que j'ai posé mes valises le temps d'un concert dans la petite église Saint Arey. L'église actuelle est assez récente (elle date de 1840) et a été équipée d'un orgue grâce à l'activité inlassable de l'association qui gère le festival. Lorenzo Cipriani, qui est le directeur artistique et musical des Estivales du Freney propose régulièrement des concerts de qualité tout en animant des stages qui permettent à des musiciens amateurs d'un bon niveau de vivre leur passion et de participer activement à la vie locale. Ce sont des œuvres de musique baroque italienne qui nous sont proposées pour animer cette fin d'après midi.

Le concert commence par un concerto pour orchestre d'un compositeur oublié Evaristo Felice Dall'Abaco (1675-1742). Son concerto pour corde en sol mineur mérite pourtant qu'on s'y attarde tant la musique est fluide, apaisante et légère. L'alternance des mouvements lents-rapides-lents se fait naturellement. La battue de Lorenzo Cipriani est précise, rigoureuse tout en finesse ; attentif à ses musiciens, il ne néglige aucun pupitre, donnant à chacun la même importance. Si Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736) est plus connu que son confrère, les mélomanes se souviennent de lui plus pour son Stabat Mater et son opéra La serva padrona (créé sous forme d'intermèdes) que pour le psaume «Domine ad adjuvandum me». Mort à seulement 26 ans, Pergolèse eut quand même le temps de laisser un important corpus lyrique et religieux et de très belle facture ainsi qu'en témoigne le psaume «Domine ad adjuvandum me» qu'il composa pour six solistes et orchestre. En cette fin d'après midi, je retiendrai surtout la belle homogénéité des voix qui faisaient monter vers Dieu une prière sincère et pleine d'émotion. Le Gloria central chanté par la soprano Timéa Cipriani s'envole gracieusement sous les voûtes de la petite église Saint Arey. Des six solistes présents je retiendrais la très belle et sobre intervention de Tiéma Cipriani et la belle voix du contre ténor japonais Nitta Masato. De Nicolo Porpora (1686-1768) on se rappelle surtout les opéras qu'il composa pour le célèbre castrat Farinelli. Nous sont aussi parvenus plusieurs oratorios et quelques œuvres de musique instrumentale. C'est son concerto pour flûte et orchestre que nous proposent Lorenzo Cipriani et le flûtiste Alain Daboncourt. Si le compositeur d'opéra transparaît dans sa musique instrumentale, notamment dans les parties solistes, son concerto pour flûte laisse à l'orchestre de belles pages. Si la direction de Lorenzo Cipriani est toujours aussi souple et ferme, l'excellent flûtiste Alain Daboncourt maîtrise parfaitement son instrument et sublime les parties solistes du concerto de Porpora qui trouve là un défenseur de qualité.

Au retour de l'entracte c'est la messe de requiem de Niccolo Jommelli (1714-1774) qui occupe toute la seconde partie du concert. Comme Dall'Abaco, Jommelli fait partie de ces compositeurs quasiment oubliés des mélomanes. Essentiellement compositeur d'opéra, Jommelli a également laissé à la postérité plusieurs œuvres religieuses dont le requiem qui nous était proposé en cette fin de concert. Si la tonalité de l’œuvre est inhabituelle, mi bémol majeur, la tonalité du requiem reste identique pendant toute la durée de l'oeuvre comme le font usuellement les autres compositeurs dans leur messe de requiem. Pour interpréter ce requiem le chœur des estives s'installe sur les gradins ; ce chœur, composé uniquement de stagiaires, tous musiciens amateurs de haut niveau est associé à un orchestre et à quatre solistes professionnels. On retrouve d'ailleurs la soprano Timéa Cipriani et le contre ténor Nitta Masato ; on les avait peu entendus dans le psaume de Pergolèse mais le ténor Sylvain Gamèche et le baryton Romain Boulanger complètent le quatuor de solistes. Très sollicités, les choristes suivent attentivement la battue de leur chef qui les a fait travailler de manière intensive tant musicalement que sur la diction qui sans être idéale est plutôt bonne dans l'ensemble. En ce qui concerne les parties solistes force est de constater que Jommelli a privilégié les voix de soprano et d'alto - ici de contre ténor - ; Timéa Cipriani et Nitta Masato se sortent d'ailleurs très bien des embûches tendues par Jommelli dans sa partition. Si j'ai eu l'occasion d'apprécier la voix du ténor Sylvain Gamèche qui a plusieurs occasions d'intervenir, je regrette que Romain Boulanger (baryton) ait eu si peu à chanter dans ce requiem.

C'est un concert plein de surprises que nous a offert l'association «Les estivales du Freney» en programmant par le biais de son talentueux directeur artistique et musical deux compositeurs méconnus, Evaristo Felice Dall'Abaco et Niccolo Jommelli, aux côtés de «stars» comme Nicolo Porpora et Giovanni Battista Pergolèse. Plein de ressources, Lorenzo Cipriani, dont nous espérons reparler bientôt, a invité des solistes de talent aussi bien pour les pièces vocales que pour le concerto pour flûte et orchestre.

Compte rendu concert. Le Freney d'Oisans. Eglise St Arey, le 29 juillet 2018. Evaristo Felice Dall'Abaco (1675-1742) : Concerto pour cordes en sol mineur, Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736) : Psaume «Domine ad adjuvandum me» pour six solistes et orchestre, Nicolo Porpora (1686-1768) : Concerto pour flûte et orchestre, Niccolo Jommelli (1714-1774) : messe de requiem en mi bémol majeur. Alain Daboncourt, flûte, Timéa Cipriani, soprano, Nitta Masato, contre ténor, Sylvain Gamèche, ténor, Romain Boulanger, baryton. Choeur et orchestre des Estives. Lorenzo Cipriani, direction.

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