Quand la musique ancienne rencontre le jazz : L'ensemble Consonnance enflamme le Grand Théâtre de Tours

 


Le succès de Concerts d'automne, dont, rappelons le, l'édition 2020 était la cinquième du nom, tient non seulement à la fidélité de son public, mais aussi à l'éclectisme de sa programmation. Avec l'ensemble Jacques Moderne, que nous avions vu la veille et dont nous avons parlé dans une autre chronique, nous savions avoir à faire à un programme carré et de haute volée. Avec l'ensemble Consonance, fondé en 2011 et dirigé depuis par François Bazola , nous sommes entrés de plein pied dans l'inattendu le plus total. Spécialisé, comme tant d'autres ensembles, dont l'ensemble Jacques Moderne, dans la musique ancienne et baroque, l'ensemble propose pour ce concert de clôture un programme séduisant, mais aussi hautement inhabituel. Bazola et ses musiciens démontrent également à l'occasion que le mélange des genres, s'il est bien pensé et bien travaillé, est tout à fait possible, voire même enthousiasmant.


Juste avant le concert, François Bazola s'avance seul sur le plateau pour dire quelques mots ; histoire de remercier le public d'être venu si nombreux et fidèle mais aussi et surtout pour rendre hommage à Samuel Paty, ce professeur d'histoire géographie assassiné pour avoir fait son travail en faisant un cours sur la liberté d'expression. Liberté essentielle, voire primordiale s'il en est, et que nul ne saurait dénier à quiconque au nom d'une religion quelle qu'elle puisse être. Une fois revenu avec ses musiciens, François Bazola demande au public (qui se lève d'ailleurs d'un bond) de respecter une minute de silence puis entamme le programme qu'il a concoté pour l'occasion avec un plaisir gourmand. Ce qui surprend de prime abord, c'est la présence, sur le plateau, d'une contrebasse, de percussions et d'un Fender Rhodes (en français nous parlerions d'un synthé[tiseur]). Cela étant dit, que lisons nous sur le programme de salle (fort joliment préparé au demeurant et même s'il y manque des détails comme les dates de naissance et de mort des compositeurs) ? On y voit des noms illustres (Bach (Jean Sébastien), Dowland, Purcell, Monterverdi, Rameau), et des compositeurs grandement méconnus (Boësset, De Chancy) mais qui ont sans doute possible leur mot à dire. Mais alors me direz vous ? La basse continue « traditionnelle » est remplacée par un continuo détonnant à tendance jazzy. Et le résultat est d'autant plus réussi que le travail en amont a été crucial autant pour la musique que pour les voix qui devaient absolument passer au dessus des percussions. Bien sur cela n'était pas toujours évident, par exemple les deux airs d'Antoine Boësset (1587-1643), Objet dont les charmes si doux et Noires forêts fort joliment interprétés par François Bazola, visiblement surmotivé, peinaient parfois à passer la rampe ; mais le résultat, pour surprenant qu'il soit, est plutôt séduisant car ce continuo étrange, après avoir cherché ses marques, s'intègre parfaitement au programme et accompagne de mieux en mieux les deux chanteurs. Ainsi les extraits de Orfeo ed Euridice (Lamento della ninfa) et de L'incoronazione di Poppea (recita della fortuna) de Claudio Monteverdi (1567-1643) sont chantés par Judith Derouin avec application ; nous aurions sans doute apprécié de voir un peu plus d'implication scénique dans la mise en espace, mais dans l'ensemble nous avons vu et écouté une belle artiste qui gagne pourtant à être connue malgré des manières parfois un peu ampoulées. La vraie surprise vient de l'interpétation très jazzy mais assez sympathique de « Loure en rondeau » extrait de l'opéra Les Indes galantes de Jean Philippe Rameau (1683-1764) ; les quatre musiciens prennent un malin plaisir à jouer, voire même à s'amuser tels des gamins auxquels on aurait fait un très joli cadeau de noël. Mais le bonheur de se retrouver et de jouer, enfin, ensemble face à un public y est aussi pour beaucoup.


Les puristes trouveront sans doute beaucoup à redire, mais c'est avec des programmes comme celui ci que des ensembles comme Consonance peuvent ammener des jeunes à s'ntéresser à la musique ancienne et petit à petit permettre aux salles de se remplir à nouveau. On ne peut que saluer le très beau travail accompli en amont du concert tant par François Bazola que par l'ensemble des artistes présents sur scène. Cela étant dit, nous saluons aussi l'heureuse initiative des responsables de Concerts d'automne qui ont fait confiance à l'ensemble Consonance et à ce programme inattendu, voire même hautement inhabituel.


Compte rendu, conccert. Tours. Grand Théâtre, le 18 octobre 2020. John Dowland (1563-1626) : Go nightly cares, Flow my tears ; Antoine Boësset (1587-1643) : Objet dont les charmes si doux, Noires forêts ; Claudio Monteverdi (1567-1643) : Si, ch'io vorrei morire, Recita della fortuna (L'incoronazione di Poppea), Lamento della ninfa( Orfeo ed Euridice) ; Jean Sébastien Bach (1685-1750) : Mache dich mein Herze rein (Passion selon Saint Matthieu) ; Betrachte, meine seel (Passion selon Saint Jean) ; Henry Purcell (1659-1695) : Hornpipe (The fairy queen), Second act tune (The fairy queen), Hornpipe (The fairy queen), Fairest Isle (King Arthur) ; Jean Philippe Rameau (1683-1764) : Loure en rondeau (Les Indes Galantes) ; François de Chancy (1600-1656) : Amour dont les charmes puissants. Chanteurs : Judith Derouin, soprano ; François Bazola, basse ; Instrumentistes : Jean Baptiste Réhault, saxophone alto, saxophone baryton ; Lucas Peres, viole de gambe, violoncelle, lirone ; Yvan Gélugne, contrebasse ; Florentin Hay, percussions ; Cédric Piromalli, clavecin, piano, Fender Rhodes ; Matthieu Plouchard, mise en son. Ensemble Consonance ; François Bazola, direction.

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